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Insuffisance des données essentielles dans la lutte visant à protéger les espèces sauvages

Vingt-deux éminents biologistes appellent à une mobilisation mondiale pour améliorer les prévisions relatives aux effets des changements climatiques sur la biodiversité
Publié: 8 September 2016

Avec la hausse des températures qui se poursuit à un rythme alarmant à l’échelle planétaire, il est essentiel de raffiner les prévisions quant à l’incidence des changements climatiques sur la flore et la faune afin de fournir aux scientifiques un portrait plus précis des espèces particulièrement menacées d’extinction.

Dans le dernier numéro de la revue Science, un groupe multinational formé de 22 éminents biologistes explique que les prévisions actuelles ne tiennent pas compte d’importants aspects de la biologie, tels que l’adaptation et le déplacement des espèces, lesquels peuvent avoir de profondes répercussions sur la capacité d’une plante ou d’un animal à survivre aux changements survenant dans son milieu de vie. Malgré le caractère sophistiqué des modèles prévisionnels, les données dont nous disposons sur les différentes espèces sont insuffisantes pour nous permettre de mettre ces outils en pratique.

Andrew Hendry et Andrew Gonzalez, tous deux professeurs au Département de biologie de l’Université McGill, sont au nombre de ces spécialistes venant des États-Unis, de l’Allemagne, de la France, du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande qui ont contribué à l’étude publiée dans Science.

« Les changements climatiques constitueront sans doute le plus grand défi à relever en matière de conservation de la biodiversité dans les prochaines décennies, particulièrement au Canada », affirme le professeur Andrew Hendry. « Notre capacité à prévoir, à comprendre et à atténuer ces changements exige que nous apportions des améliorations considérables à nos méthodes de surveillance et de modélisation. »

Les changements climatiques se traduiront également par des perturbations dans la répartition géographique de nombreuses espèces. « Au Canada, nous avons déjà commencé à ressentir de tels effets sur la faune », ajoute le professeur Andrew Gonzalez. « La dissémination vers le nord de la tique responsable de la maladie de Lyme n’est qu’un exemple de déplacement attribuable au réchauffement climatique. L’obtention de données plus fiables permettra d’améliorer les prévisions quant aux conséquences des changements climatiques sur les écosystèmes et la société canadienne en général. »

Le groupe appelle donc à des efforts concertés à l’échelle planétaire en vue de recueillir ces précieuses données biologiques qui permettront d’établir des prévisions plus réalistes et précises relativement à l’ampleur des changements climatiques sur la biodiversité. Ainsi, cette initiative aidera non seulement la communauté scientifique à cerner plus efficacement les populations et écosystèmes particulièrement menacés, disent les scientifiques, mais elle permettra une répartition plus ciblée des ressources alors que les températures mondiales continuent de grimper à une vitesse record.

« En ce moment, nous traitons une souris de la même façon qu’un éléphant, un poisson ou un arbre, même si nous savons pertinemment qu’il s’agit d’organismes totalement différents qui réagissent à leur milieu de façon très différente », explique Mark Urban, écologiste à l’Université du Connecticut et auteur principal de l’article publié dans la revue Science. « Nous devons rechausser nos bottes, prendre nos jumelles et retourner sur le terrain pour recueillir des données plus détaillées et ainsi établir des prévisions réalistes. »

Les prévisions climatiques actuelles à l’égard de la biodiversité s’appuient sur des corrélations statistiques générales et peuvent varier considérablement, ce qui fait que les décideurs politiques et autres intervenants ont peine à réagir. Ces prévisions proposent souvent des hypothèses globales qui ne tiennent pas compte de l’ensemble des facteurs biologiques pouvant influer sur le taux de survie d’un organisme, soit la démographie des espèces, la concurrence avec d’autres organismes, la mobilité et la capacité d’adaptation et d’évolution.

Il est crucial d’augmenter la fiabilité des prévisions pour soutenir les efforts de conservation déployés à l’échelle mondiale. Déjà, de nombreuses espèces se déplacent en altitude ou migrent vers les pôles à la recherche de températures plus fraîches au fur et à mesure que la température du globe augmente. Or, la capacité de survie varie énormément d’un organisme à un autre. Certaines espèces de grenouilles, par exemple, peuvent parcourir plusieurs kilomètres pour demeurer dans un milieu habitable, alors que d’autres animaux, comme certains types de salamandres, sont moins mobiles et n’arrivent à se déplacer que de quelques mètres au fil des générations.

Comme il existe plus de 8,7 millions d’espèces dans le monde, la cueillette de données biologiques nécessaires au raffinement des prévisions représente une tâche titanesque. Selon les biologistes, le prélèvement d’un échantillon des principales espèces serait déjà grandement utile. Grâce à des modèles plus sophistiqués, les scientifiques seront en mesure d’extrapoler leurs prévisions et de les appliquer aux multiples espèces qui présentent des caractéristiques semblables.

Par où commencer? Les biologistes réclament le lancement d’une campagne mondiale dirigée par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES [Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services]). L’IPBES agit sous l’égide de quatre entités des Nations Unies et se consacre à fournir de l’information scientifique aux décideurs politiques des différents pays. Plus d’un millier de scientifiques de partout dans le monde contribuent actuellement aux travaux de l’IPBES à titre bénévole.

« Notre principal défi consiste à repérer les espèces sur lesquelles nous devons centrer nos efforts et les régions où nous devons allouer nos ressources », indique le professeur Urban, qui, dans une précédente étude également publiée dans Science, a prédit qu’une espèce sur six pourrait être décimée par les changements climatiques à l’échelle mondiale. « Nous en sommes à l’étape du triage. Nos ressources sont limitées et la liste de malades est longue. »

Les groupes de travail ayant collaboré à ce projet ont bénéficié du soutien du Programme des chaires de recherche du Canada, du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, du Centre de la science de la biodiversité du Québec, du Synthesis Centre du German Centre for Integrative Biodiversity Research, du programme de recherche DIVERSITAS et de la Fondation nationale pour la science.

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Pour consulter l’article « Improving the forecast for biodiversity under climate change », par M. C. Urban et al., publié en 2016 dans la revue Science, visitez le : http://science.sciencemag.org/cgi/doi/10.1126/science.aad8466 

 

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