Analyse de données : des affaires au communautaire

Un professeur de la Faculté de gestion Desautels et des étudiants du Groupe d’analytique alimentaire de McGill révolutionnent les activités de la coopérative alimentaire montréalaise Santropol Roulant grâce à l’analyse de données.

Parfois, le hasard fait bien les choses.

Lors de la dernière session, Ali Dunn, 22 ans, a été contrainte d’abandonner un cours en raison d’un problème de santé.

« Comme il me manquait des crédits, mon conseiller m’a recommandé de mener une étude indépendante à la session suivante », explique-t-elle. Ali vient d’obtenir son diplôme en marketing, avec concentration en analyse de données, de la Faculté de gestion Desautels.

« J’avais suivi un cours de Juan à l’automne et j’avais adoré. Je lui ai donc demandé s’il pouvait me superviser pour mon étude indépendante, et c’est là qu’il m’a présenté ce projet! »

« Juan », c’est Juan Camilo Serpa, qui donne à Desautels un cours d’introduction à l’analyse de données pour les entreprises, et « ce projet », c’est un programme mis au point conjointement avec Santropol Roulant, groupe communautaire montréalais voué à la sécurité alimentaire et à l’inclusion sociale.

Il y a 18 mois, le professeur créait le Groupe d’analytique alimentaire de McGill – le McFac – dans le but de mettre l’analyse de données et l’IA – l’intelligence artificielle – au service de causes sociales.

« Les multinationales de l’alimentation se payent, à coups de centaines de milliers de dollars, des consultants de haut vol qui savent utiliser les données pour produire des aliments à faible coût », fait valoir le Pr Serpa. « Mais les petits producteurs qui pratiquent une agriculture biologique durable et équitable, eux, est-ce qu’ils ont accès à ces données? La réponse est non. » Voilà pourquoi les aliments biologiques sont si coûteux et les aliments transformés, si bon marché. Cet écart s’explique en partie par une analyse plus efficace des données. Le McFac entend donc mettre ces données au service des producteurs de denrées alimentaires durables afin de les aider à prendre des décisions plus judicieuses, qui augmenteront leur efficience et leur compétitivité.

« Santropol est l’une des plus grandes coopératives alimentaires de Montréal; c’est un mégaprogramme (qui comprend la popote roulante), alors nous tenions mordicus à travailler avec ces gens-là », indique le Pr Serpa.

Transformer sans dénaturer

Santropol s’est montré « très ouvert à l’idée », mais sceptique quant à l’utilité de l’analyse des données, que ce soit à sa ferme biologique de Senneville ou dans ses diverses activités montréalaises.

Exploitation agricole, popote roulante, préparation des repas, etc. : partout au Santropol, les bénévoles sont absolument indispensables. Ces derniers s’inscrivent en remplissant un formulaire ou en appelant un coordonnateur, qui s’occupera de l’inscription papier.

« Ils doivent manipuler des tonnes de papier pour répartir leurs bénévoles un peu partout. Tout ça est très compliqué. Alors, voici ce que nous leur avons proposé : ‟Nous pourrions vous monter un système complet qui permettrait aux bénévoles de s’inscrire au moyen d’une application de notre cru, les répartirait automatiquement selon les besoins et communiquerait avec l’ensemble du personnel si, par exemple, une activité agricole devait être annulée pour cause de mauvais temps”. L’équipe serait libérée de ces tâches et pourrait mieux utiliser son temps. C’est donc la transformation que nous avons entreprise; nous avons conçu cette application dans le but, à terme, de leur donner un véritable dispositif d’IA pour coordonner leurs activités. »

Marie-Anne Viau, gérante du programme d’agriculture urbaine de Santropol Roulant, ne tarit pas d’éloges sur le projet et ses créateurs.

« J’avoue que nous avions de sérieux doutes au début. Santropol, c’est un gros bateau et beaucoup de programmes interdépendants, et pour nous, c’était primordial de ne pas le dénaturer, de conserver cet esprit communautaire. »

« Les bénévoles sont au cœur de toutes nos activités, et grâce à McGill, nous avons pu améliorer encore davantage… Nous avons été vraiment impressionnés par leur capacité de nous comprendre, de comprendre qui nous sommes et ce que nous faisons », souligne Marie‑Anne Viau.

« Ils nous ont fait un beau cadeau. »

Opération numérisation

Ali Dunn s’est vu confier, notamment, la numérisation des piles de papier évoquées précédemment.

En compagnie d’une vingtaine d’autres étudiants de la Faculté de gestion Desautels, elle a transformé dossiers et feuilles de présence en une base de données numérique constituant aujourd’hui le cœur de l’application et appelée à devenir un système d’IA en bonne et due forme.

« J’ai recueilli des données sur leur programme agricole », précise-t-elle, « je leur ai fourni des trucs pour attirer et fidéliser un plus grand nombre de bénévoles » et diminuer ainsi les coûts, élevés, de formation des recrues.

« J’ai relevé des lacunes, fait un sondage, consigné l’information dans un fichier Excel et utilisé des algorithmes pour trouver les variables qui influent le plus sur la satisfaction. »

« Son rapport m’a beaucoup impressionnée », a déclaré Marie‑Anne Viau.

Ali Dunn a constaté, notamment, que le taux de satisfaction des bénévoles était plus élevé chez les anglophones que chez les francophones. Par ailleurs, ce taux était plus faible chez les bénévoles issus du milieu de l’éducation. L’étudiante a donc recommandé à Santropol de recruter davantage de bénévoles ayant ce profil, puisque leurs exigences élevées ne peuvent que tirer la coopérative vers le haut.

Autre suggestion d’Ali : engager plus d’étudiants, dont les taux de satisfaction et de retour étaient supérieurs à la moyenne. « Et ça tombe bien, puisque le bénévolat est un préalable dans certains cours à Concordia et à McGill. »

Un autre étudiant, Anshul Manosha, a créé une application mobile dans le but de rationaliser les activités de Santropol, de « révolutionner les relations bénévoles-employés et [de] simplifier l’accès au bénévolat ». L’équipe du McFac la mettra à l’essai cet été.

« Mais, vous le savez comme moi, il y a toujours des tas de problèmes et de bogues au début », prévient le Pr Serpa.

« Nous devons mettre au point l’interface parfaite, qui facilite la vie tant des bénévoles que des employés qui travaillent en coulisse. Il y a beaucoup de projets qui mijotent. »

« J’ai bien hâte de voir comment le projet pilote va fonctionner cet été », lance Marie‑Anne Viau.

« Pour les étudiants, c’est génial », conclut le Pr Serpa. « Ils apprennent à transformer la technologie en outil de gestion, tout en demeurant axés sur l’idéal communautaire de l’organisme. »

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