Les feux de forêt vus de l’espace

Une étudiante chercheuse combine les données des satellites pour aider les collectivités à surveiller les feux de forêt

L’intérêt de Morgan Crowley pour l’écologie ne date pas d’hier.

Durant son enfance dans le New Hampshire, elle a fréquenté un camp d’été sur la montagne Pine, nommée ainsi en raison des majestueux conifères qui recouvraient autrefois les lieux. Au moment où Morgan a commencé à fréquenter l’endroit, il ne restait que deux pins, les autres ayant été décimés par les feux de forêt ou l’exploitation forestière. « J’ai donc grandi en réfléchissant énormément à la préservation de l’environnement », nous dit-elle.

Son intérêt pour l’environnement était aussi alimenté par une fascination pour l’imagerie aérienne. Comme son grand-père était pilote pour l’armée de l’air américaine, il y avait des photos aériennes partout dans la maison familiale. C’est lors d’une sortie scolaire à Washington, lorsqu’elle était en 8e année, qu’elle découvre Google Earth; immédiatement, elle cherche à trouver sa maison, dans le sud du New Hampshire, près de la côte de l’Atlantique. La vue à vol d’oiseau lui fait voir les choses d’une toute nouvelle façon.

Aujourd’hui doctorante au Département des sciences des ressources naturelles de McGill, Mme Crowley a réussi à combiner ses passions pour les paysages naturels et l’imagerie aérienne. Elle a mis au point une nouvelle technique qui permet de cartographier rapidement les feux de forêt à partir de l’espace, grâce au regroupement de données satellites librement accessibles. Son but? Créer un tableau de bord universel pour aider les résidents de régions dépendant de l’industrie du bois à surveiller les feux de forêt qui menacent leurs terres.

Elle fait également partie d’une équipe composée de huit étudiants des cycles supérieurs qui collaborent dans le cadre de l’initiative sur les systèmes de durabilité de McGill, un ambitieux programme lancé par l’Université il y a trois ans, pour s’attaquer à certains des enjeux de viabilité écologique les plus complexes. L’équipe, qui comprend des étudiants en économie, en géographie et en épidémiologie, se penche sur l’incidence des services écosystémiques – la contribution de Dame nature au bien-être humain – sur les produits échangés sur le marché international, comme les aliments ou le bois d’œuvre.

Des arts aux sciences

Lorsqu’elle a amorcé ses études de premier cycle à McGill en 2009, Mme Crowley ne s’attendait pas du tout à devenir une scientifique. « Mon père était vendeur, et ma mère, enseignante, précise-t-elle. Pour moi, les sciences n’étaient pas une possibilité. »

De plus, elle aimait beaucoup le programme de la Faculté des arts, car elle pouvait suivre les cours qui lui convenaient. C’est un cours d’introduction à l’éthique religieuse et à l’environnement qui l’a amenée à faire une majeure en environnement et en développement, à l’École d’environnement.

Son programme était fortement axé sur l’économie et comprenait quelques cours de géographie. L’un de ces cours, donné notamment par un professeur de philosophie, comportait une retraite à la Réserve naturelle Gault de McGill, à Mont-Saint-Hilaire, au Québec – une fin de semaine de réflexion dans la nature qu’elle a trouvée absolument merveilleuse. Puis, survient une révélation d’un autre genre dans un cours de géographie qui combine ses intérêts d’enfant pour les paysages et la photographie aérienne. « Tout est devenu clair pour moi quand j’ai suivi un cours avec Margaret Kalacska », une professeure qui se sert d’images satellites pour faire de la recherche sur les enjeux environnementaux.

Durant l’été précédant sa dernière année d’études de premier cycle, Mme Crowley a mené un projet de recherche indépendant sous la direction d’Elena Bennett, professeure en sciences des ressources naturelles et éminente experte en services écosystémiques. Son projet consistait à étudier les terrains de golf ayant interdit l’utilisation de produits chimiques. Elle a ainsi passé une journée par semaine à faire du travail de terrain – littéralement – sur un parcours de golf de la côte du New Hampshire. Elle a aussi dirigé le travail de sensibilisation visant à faire connaître l’approche écologique du club de golf. « Aucune publicité n’avait été faite à ce sujet », explique-t-elle.

C’est ce projet d’été qui lui a réellement donné la piqûre de la recherche, Mme Bennett l’ayant aidée à réaliser que les sciences étaient une possibilité pour elle. Mme Crowley dirige maintenant le groupe des femmes scientifiques du campus Macdonald.

Une expérience révélatrice

Après avoir obtenu son baccalauréat en 2013, elle a entrepris une maîtrise en ressources naturelles et en environnement à l’Université du New Hampshire. Ses recherches portaient sur la gestion forestière dans les zones propices aux feux de forêt, dans l’est de l’Oregon – une expérience tout aussi révélatrice.

« J’ai grandi en Nouvelle-Angleterre, avec l’impression que les ouvriers forestiers représentaient l’ennemi. En Oregon, j’ai réalisé que c’est beaucoup plus compliqué que ça », indique-t-elle. L’industrie forestière, traditionnellement très présente dans de nombreuses collectivités de cet État, a subi les contrecoups des restrictions environnementales et d’autres facteurs. « Le développement durable, c’est très complexe. Selon la perspective, on peut seulement considérer l’aspect écologique, en laissant de côté l’aspect humain. Il faut penser aux gens de ces collectivités, qui dépendent de ces ressources. »

Mme Crowley est revenue à McGill en 2017 pour commencer son doctorat. « L’une des principales choses que j’ai apprises en Oregon, c’est qu’il manque d’information, particulièrement de données librement accessibles, pour que les gens apprennent à reconnaître les moments et les endroits où les feux de forêt pourraient se propager. »

Avec l’aide de son superviseur, le professeur Jeffrey Cardille, et de coauteurs du Service canadien des forêts, elle a publié en juin un article expliquant comment sa technique pourrait servir à cartographier les feux de forêt en Colombie-Britannique à partir de l’espace, pratiquement en temps réel.

« Les recherches de Morgan sont très importantes et tombent à point, étant donné que les feux de forêt sont de plus en plus fréquents, particulièrement dans l’Ouest, affirme Jeffrey Cardille, professeur en sciences des ressources naturelles à l’École d’environnement de McGill. Mais ces feux sont-ils réellement plus fréquents et plus importants? Brûlent-ils plus longtemps? Les travaux de Morgan peuvent fournir des réponses à ces questions cruciales pour le Canada. »

Les sciences du paysage

Avec le soutien des professeurs Cardille et Bennett, Mme Crowley a soumis l’an dernier sa candidature au projet de sciences du paysage de l’initiative sur les systèmes de durabilité. Comme les membres de l’équipe proviennent de différentes disciplines et des divers campus de McGill, l’une de leurs plus grandes difficultés, lorsqu’ils se sont réunis, a été de trouver un langage commun, explique Kerstin Schreiber, une étudiante au doctorat en géographie qui apporte son expertise en systèmes alimentaires à l’équipe.

« Les problèmes d’aujourd’hui nécessitent une expertise dans différents domaines, affirme Mme Bennett, qui est aussi professeure à l’École d’environnement de McGill. Nos spécialistes du paysage sont issus de l’extraordinaire bassin de talents de McGill; ce sont les meilleurs cerveaux, et ensemble, ils travaillent à forger un avenir meilleur pour les paysages naturels du pays. »

Maintenant que les membres de l’équipe ont convenu d’une approche commune pour étudier les services écosystémiques, ils se préparent à former de plus petits groupes pour la prochaine année, qui proposeront des projets davantage axés sur certaines industries. Mme Crowley prépare un projet sur l’industrie forestière qui mariera durabilité environnementale et viabilité humaine.

Les membres de l’équipe apprennent aussi les uns des autres, et leurs travaux dans le cadre du projet de l’initiative pourraient jeter les bases d’une collaboration à long terme, selon Mme Crowley, qui souhaite faire carrière dans l’enseignement. « Quand j’aurai besoin de quelqu’un qui s’y connaît en systèmes alimentaires, je n’aurai pas à chercher de collaborateurs; je sais que je pourrai toujours compter sur ma nouvelle collègue Kerstin. »

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