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L’anonymat sur Internet brouille les signaux de drague

Les femmes envoient des signaux faibles plutôt que de faire les premiers pas
Publié: 3 February 2016

Par Chris Chipello

Salle de presse

Internet et ses sites de rencontre, de plus en plus populaires, pourraient fort bien être en voie de redéfinir un aspect fondamental de l’aventure humaine : la quête d’un partenaire… ou à tout le moins d’un rendez-vous galant. Mais selon une nouvelle étude publiée dans Management Science, certaines conventions sociales vieilles comme le monde ont la vie dure, même sur le Net.

Lors d’une expérience à grande échelle réalisée par l’entremise d’un vaste site de rencontre nord-américain, une équipe de spécialistes en gestion du Canada, des États‑Unis et de Taïwan a évalué l’effet d’une option offerte moyennant un supplément : la navigation privée. Après avoir choisi au hasard 100 000 nouveaux utilisateurs, on a offert cette option gratuitement à 50 000 d’entre eux pendant un mois. Ils pouvaient ainsi consulter le profil d’autres utilisateurs sans laisser de traces : ni vu ni connu.

Les chercheurs s’attendaient à ce que l’anonymat fasse tomber les inhibitions sociales, et c’est apparemment ce qui s’est produit. Les utilisateurs bénéficiant de la navigation privée ont consulté plus de profils que les témoins. Ils étaient également plus susceptibles d’explorer la formation de couples homosexuels ou interraciaux.

Fait étonnant, toutefois, les cas d’« atomes crochus » (soit l’échange d’au moins trois messages entre utilisateurs) ont été moins nombreux chez les utilisateurs qui furetaient en privé que chez ceux qui le faisaient à visage découvert. L’écart était particulièrement marqué chez les femmes : les cas d’atomes crochus ont été en moyenne 14 % moins fréquents chez celles qui naviguaient dans l’anonymat. Comment expliquer cela?

Les femmes n’aiment pas faire les premiers pas en envoyant un message personnel, explique Jui Ramaprasad, professeure adjointe, Systèmes d’information, à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill. Elles sont plutôt portées à envoyer ce que les chercheurs appellent un « signal faible ».

« L’envoi de signaux faibles consiste à ʽ aller faire un tour ʼ sur le profil d’un partenaire éventuel de manière à ce qu’il sache qu’on lui a rendu visite, » expliquent les auteurs de l’étude. « Dans la vraie vie, on pourrait comparer cela, au mieux, à un regard suggestif ou à un geste coquet, par exemple rejeter sa chevelure sur le côté ou suivre quelqu’un du regard, autant de manifestations susceptibles d’interprétations multiples, éventuellement erronées, selon la perspicacité des protagonistes. Sur le Web, c’est différent. Lorsqu’un utilisateur consulte le profil d’un autre et se retrouve ensuite dans la liste des ʽ visiteurs récents ʼ, la situation est nettement moins ambiguë. »

Souvent, les hommes réagissent lorsqu’on leur envoie un signal. « Les hommes envoient quatre fois plus de messages que les femmes, indique Akhmed Umyarov, coauteur de l’étude et professeur adjoint à l’École de gestion Carlson de l’Université du Minnesota. En ce qui les concerne, l’anonymat ne change donc pas grand-chose. »

Applications possibles dans d’autres domaines

On pourrait mener des études de cette nature dans une panoplie de sites de jumelage pour déterminer comment bonifier l’expérience client. Mais bien entendu, les principes d’éthique doivent toujours être respectés, précisent les chercheurs.

« Bien que les gens soient prêts à payer pour l’anonymat sur un site de rencontre, nous constatons que cette option nuit à l’utilisateur moyen », affirme le professeur Ravi Bapna, coauteur et titulaire de la Chaire Carlson en analytique commerciale et en systèmes d’information à l’Université du Minnesota. « Les réseaux sociaux professionnels comme LinkedIn proposent également divers degrés d’anonymat, mais le comportement des utilisateurs et les mécanismes psychologiques en jeu sont très différents de ce qu’on retrouve sur un site de rencontre. »

Comme c’est souvent le cas en recherche universitaire, cette étude est en partie le fruit du hasard.

« Il se trouve qu’un type que je connaissais était cadre supérieur dans un site de rencontre, explique la Pre Ramaprasad. Comme il savait que j’étudiais le comportement des internautes, il m’a proposé cette idée d’étude ». Désigné par un nom fictif dans l’étude (monCherie.com), ce site de rencontre est l’un des plus importants d’Amérique du Nord.

Cette étude pourrait constituer le prélude d’analyses plus poussées sur les sites de rencontre. « Nous nous attendons à qu’on se penche sur la qualité des rencontres et sur leur évolution à long terme, plus précisément sous l’angle du mariage, du bonheur, des relations de longue durée et du divorce », concluent les chercheurs.


L’étude « One-Way Mirrors and Weak-Signaling in Online Dating: A Randomized Field Experiment », par Ravi Bapna, Jui Ramaprasad, Galit Shmueli et Akhmed Umyarov, a été publiée en ligne dans Management Science, le 2 février 2016.

Vidéos

Jui Ramaprasad:
Online dating research

Ravi Bapna and Akhmed Umyarov:
One-Way Mirrors and Weak-Signaling in Online Dating

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