Nouvelles

De l’absence de parti travailliste aux États-Unis

Publié: 26 May 2016

McGill Salle de Presse

À partir de données historiques, un sociologue de McGill donne un nouvel éclairage à un vieux débat

L’improbable avancée de la campagne présidentielle de Bernie Sanders soulève une question intéressante : pourquoi M. Sanders, un socialiste démocrate autoproclamé se présente-t-il comme candidat démocrate ? Le prof. Barry Eidlin, sociologue à l’Université McGill, se penche sur la question en faisant une comparaison historique avec le Canada, un pays semblable aux États-Unis sous de nombreux aspects, mais avec une culture politique et un système électoral clairement plus favorables aux partis travaillistes.

« Dans tout autre pays industrialisé, M. Sanders participerait sans doute à la course présidentielle sous la bannière d’un parti travailliste ou social-démocrate, affirme le prof. Eidlin dans une nouvelle analyse publiée dans la revue American Sociological Review, mais tout le monde sait qu’il n’y a pas de tel parti aux États-Unis. Selon les idées reçues, il n’y a pas de parti travailliste ou socialiste dans ce pays parce que sa culture politique est hostile au socialisme et son système électoral est particulièrement opposé à un tiers parti. »

Les données électorales remettent en question les idées reçues

« L’analyse de 142 ans de données électorales révèle que les différences dans la culture politique et les systèmes électoraux n’ont pas eu d’incidence sur l’appui en faveur d’un parti travailliste, tel que supposé : avant les années 1930, on passait sous silence les différences politiques, et l’appui en faveur d’un parti travailliste était faible quoique significatif dans les deux pays », soutient le prof. Eidlin.

Ce n’est que dans les années 1930 que l’appui en faveur d’un parti travailliste s’est effondré aux États-Unis et a gagné du terrain au Canada. Alors pourquoi ce revirement s’est-il produit dans les années 1930 ?

Après étude approfondie des archives, le prof. Eidlin a établi que ce revirement était la conséquence de la réaction de divers partis au pouvoir à la protestation des travailleurs et des fermiers durant la Grande Dépression. Aux États-Unis, la FDR a répondu aux protestations par des appels purement rhétoriques à « l’homme oublié » et des réformes politiques qui ont réussi à absorber des groupes de fermiers et de travailleurs dans sa coalition du New Deal, réussissant dans le même temps à en diviser et exclure d’autres. L’écroulement du parti travailliste en fut la conséquence.

Au Canada, les grands partis ont répondu aux protestations par un mélange de répression et de négligence. Cette approche d’exclusion a permis à la Fédération du Commonwealth coopératif, précurseur du Nouveau parti démocratique actuel (NPD), de les organiser en une tierce coalition durable.

Le rôle paradoxal des partis

L’analyse du prof. Eidlin fait ressortir le rôle que jouent les partis politiques non seulement dans l’expression de la volonté des segments de l’électorat, mais également dans la formation active de coalitions politiques et l’exercice de contraintes à leur endroit.

« Ce qui s’avère très intéressant ici, c’est le rôle paradoxal que jouent les partis au pouvoir dans les deux pays, affirme le prof. Eidlin. Aux États-Unis, la réaction plus conciliante des démocrates aux protestations des fermiers et des travailleurs a fini par exercer une contrainte sur les politiques progressistes à long terme. Pendant ce temps, les efforts des libéraux et des conservateurs canadiens pour mettre fin aux protestations des fermiers et des travailleurs se sont retournés contre eux, ouvrant la voie au paysage politique relativement plus progressiste que nous tenons pour acquis aujourd’hui. »

Certainement pas une tour d’ivoire d’intellectuels

Dans le tumulte de la Grande Dépression, des groupes d’intellectuels similaires ont joué un rôle très différent dans l’élaboration de l’approche des partis politiques dans les deux pays. « Aux États-Unis, le président Roosevelt s’appuyait sur un groupe d’intellectuels connu sous le nom de « Brains Trust » pour formuler le programme de réforme par la suite devenu le New Deal, explique le prof. Eidlin. Au Canada, les grands partis n’avaient pas le loisir de s’engager dans de grandes réflexions. Les intellectuels canadiens qui auraient probablement fait partie du « Brains Trust » s’ils avaient été américains, en particulier certains professeurs de McGill et de l’Université de Toronto, ont plutôt formé la League for Social Reconstruction, qui a servi d’épine dorsale intellectuelle à la CCF. »

Pour communiquer directement avec le prof. Eidlin : barry [dot] eidlin [at] mcgill [dot] ca

Back to top