Dès son premier jour à la Faculté des sciences de l’éducation de McGill, Philip Cutler (B. Éd. 2013) a fait preuve d’esprit entrepreneurial : il a demandé aux aspirants tuteurs dans son entourage s’ils accepteraient de lui payer une commission pour chaque nouveau client qu’il leur amènerait.
Aujourd’hui, Paper, entreprise qu’il a cofondée avec Roberto Cipriani (B. Sc. 2008), est l’une des sociétés de tutorat en ligne les plus importantes des États-Unis. Elle offre ses services à des districts scolaires publics dans plus de 30 États américains et dans quatre provinces canadiennes. Les tuteurs épaulent principalement des élèves des écoles intermédiaires et secondaires.
Depuis ses débuts, il y a près de dix ans, l’entreprise montréalaise a connu une croissance progressive. Pendant la pandémie, l’intérêt accru pour les services d’aide en ligne de qualité lui a permis d’élargir sa portée de façon surprenante : elle compte maintenant plus de 450 employés et 2 200 tuteurs, qui offrent leurs services à plus de 2 millions d’élèves. « L’une des entreprises en démarrage canadiennes à la plus forte croissance » en 2021, selon le Globe and Mail, Paper a récemment obtenu 270 millions de dollars US en financement de SoftBank, un conglomérat de financement technologique.
Le modèle éducatif de Paper repose sur un principe essentiel aux yeux de l’équipe : tous les élèves doivent avoir accès à des services de soutien éducatif de qualité, pas seulement ceux dont les parents ont les moyens de payer. Le fondateur et ancien enseignant s’est grandement appuyé sur son expérience en classe pour élaborer la philosophie de son entreprise.
Des chances égales pour tous
« J’ai constaté que les enfants qui avaient recours aux tuteurs privés venaient tous de familles aisées, se rappelle Philip Cutler. Quatre-vingts à quatre-vingt-dix pour cent des élèves qui avaient besoin d’aide n’avaient tout simplement pas les moyens de se la procurer. Je voulais offrir du tutorat en ligne afin que tout le monde puisse y avoir accès. Notre objectif est de créer des chances égales pour tous. »
La première collaboration entre les cofondateurs remonte à 2013; Philip Cutler cherchait alors une personne pouvant créer un logiciel pour une entreprise précédente. Étudiant aux cycles supérieurs en neuroscience à l’époque, Roberto Cipriani préférait analyser des données et développer des logiciels servant aux expériences que réaliser les expériences.
Lorsque Philip Cutler a décidé de fonder Paper (d’abord nommée GradeSlam), il a de nouveau fait appel à son collaborateur. « Je lui ai présenté mon idée et l’ai convaincu de démarrer l’entreprise avec moi. »
Le diplômé de la Faculté des sciences de l’éducation estime que ses études l’ont outillé pour son rôle actuel de PDG de Paper (dont Roberto Cipriani est le chef de l’exploitation et le directeur de la technologie). Selon ses dires, c’est à McGill qu’il a appris à bien considérer toutes les facettes d’une décision.
Il a également tiré des leçons importantes de son expérience comme joueur de football universitaire. « On passe énormément de temps à se regarder en vidéo et à analyser les jeux. “Pourquoi as-tu fait ceci au lieu de cela?” »
L’apprentissage par clavardage
Paper se démarque de plusieurs façons, notamment par ses interactions élève-enseignant, qui se font entièrement par clavardage.
Roberto Cipriani raconte qu’au cours de leur première année d’activité, alors que l’entreprise offrait des services de tutorat par vidéoconférence, « dans 75% des séances, l’élève éteignait sa caméra et préférait clavarder avec son tuteur. »
Surpris par ce constat, les deux dirigeants ont creusé la question et ont découvert que la plupart des élèves n’étaient pas à l’aise de parler à un inconnu par vidéo sur Internet. « S’ils préfèrent clavarder, offrons-leur un apprentissage par clavardage efficace », dit le chef de l’exploitation.
Lorsque les deux entrepreneurs ont inscrit leur jeune pousse à la Coupe Dobson de McGill en 2014, et présenté leur modèle de tutorat par clavardage, ils ont bien fait rire d’eux, se remémore Philip Cutler, sourire en coin. « J’aurais ri aussi si des centaines d’élèves ne m’avaient pas convaincu que ça pouvait marcher. »
Après avoir analysé la démarche des jeunes entrepreneurs, les juges ont cessé de rire, et l’entreprise s’est rendue à la finale du concours. Aujourd’hui, le PDG de Paper est régulièrement invité comme juge au concours de la Coupe Dobson.
Accessible en tout temps
Philip Cutler et Roberto Cipriani ont compris un autre point important : les élèves n’avaient ni envie ni besoin d’un tutorat structuré aux horaires définis. « La probabilité qu’un élève ait besoin de 60 minutes de soutien est à peu près nulle », fait remarquer le PDG. « Il a peut-être besoin de 52 minutes, ou de 80 minutes. » La plupart du temps, il veut simplement s’assurer d’être sur la bonne piste, ou il a besoin d’aide pour résoudre une question ardue.
Les tuteurs de Paper sont disponibles en tout temps pour des séances de clavardage de la durée souhaitée, que ce soit à 19 h un vendredi soir ou à 14 h un mercredi après-midi.
« Cinq minutes ou trois heures, peu importe : le service s’adapte aux besoins de chacun, indique Philip Cutler. Nous sommes les seuls à offrir un délai d’attente de quelques secondes à peine. Cette accessibilité va redéfinir le tutorat en contexte scolaire. »
Selon Roberto Cipriani, grâce aux tuteurs joignables en tout temps, les élèves tissent des liens avec l’entreprise dans son ensemble plutôt qu’avec un seul tuteur. Il dresse un parallèle avec le fait d’aller à sa chaîne de cafés préférée et d’obtenir chaque fois un service et un produit de la même qualité.
L’accessibilité en tout temps plaît aussi aux enseignants des districts scolaires qui retiennent les services de Paper. « Les enseignants adorent ça; ils ne reçoivent plus de questions de leurs élèves à 22 h », souligne Philip Cutler.
Une nouvelle carrière
Paper offre des services de tutorat en quatre langues : anglais, français, mandarin et espagnol. La société s’est associée à quelques écoles canadiennes, mais sa clientèle est principalement constituée de districts scolaires aux États-Unis.
La majorité des tuteurs de Paper se trouvent au Canada. Ils ont une formation universitaire en mathématiques, en sciences ou en éducation, entre autres disciplines, et certains possèdent même un diplôme de cycle supérieur, atout considérable pour les cours des dernières années du secondaire. Tous les tuteurs touchent une rémunération concurrentielle.
« Il s’agit d’une nouvelle option de carrière pour les enseignants, précise Roberto Cipriani. Ce n’est pas un travail secondaire, mais bien la carrière qu’ils ont choisie. »