Minuit moins une pour l’ALÉNA

Les négociateurs chargés de conclure une nouvelle mouture de l’ALÉNA sont engagés dans une course contre la montre. Si Justin Trudeau et Donald Trump ont encore une fois cette semaine affiché leur volonté de rapidement conclure une nouvelle entente, le Mexique a pour sa part dit douter que ce soit possible avant la date butoir du 17 mai. McGill dans la ville a posé trois questions à Armand de Mestral, professeur de la Faculté de droit de l’Université McGill et spécialiste du commerce et de l’arbitrage international, afin de faire le point.

Trump et Trudeau ont encore une fois affirmé vouloir rapidement arriver à une nouvelle entente avant la date butoir du 17 mai. Doit-on y voir un indice qu’un accord sera conclu d’ici jeudi?

Rien n’est moins sûr. Ça fait deux mois qu’ils disent vouloir régler la situation le plus rapidement possible.  Parce que les États-Unis poussent dans le dos, les négociations se déroulent à un rythme assez frénétique. C’est assez inhabituel de voir trois ministres - Christina Freeland, ministre des Affaires étrangères du Canada, Ildefonso Guajardo, ministre de l’Économie du Mexique et Robert Lighthizer, le représentant des États-Unis pour le commerce -  négocier directement ce genre d’accord pendant autant de temps, et ce, sans succès.

Trump a, à plusieurs reprises, menacé de déchirer l’ALÉNA, ce qui a suscité des inquiétudes au Canada. Y a-t-il encore lieu de s’inquiéter et qu’est-ce qui rend ces négociations si difficiles?

Plusieurs questions litigieuses demeurent en suspens. La question des règles d’origine en matière des pièces automobiles [NDLR: cette règle permet aux objets fabriqués en Amérique du Nord de traverser les frontières sans droits de douane] sème encore la discorde [NDLR: notamment auprès du Mexique qui a affirmé cette semaine que les demandes américaines à cet égard étaient inacceptables]. Les mécanismes de règlement de différends entre les pays signataires demeurent aussi un point de litige puisque les Américains souhaitent toujours qu’ils soient abolis ou qu’ils soient plus souples, ce qui est inquiétant pour le Canada et on ne sait absolument pas où ils en sont avec ça. La menace que les droits de douane spéciaux pour l’acier et l’aluminium sont aussi source d’inquiétude. Trump décidera-t-il, à la fin mai, de les imposer au Canada et au Mexique?

Pourtant, depuis des semaines, voire des mois, on entend pourtant les différentes parties dire qu’ils font des progrès.

Je ne suis pas dans le secret des négociateurs. Même s’ils affirment avoir fait des progrès sur plusieurs fronts, de là à dire que c’est bientôt réglé, c’est difficile à dire, d’autant plus que Trump est totalement imprévisible. Ce n’est pas un secret, Donald Trump n’aime pas l’accord tel qu’il est et son ministre Robert Lighthizer semble être d’accord avec sa position. Pourtant, il a de nombreuses forces qui leur sont opposées, les gouverneurs et sénateurs républicains sont en faveur du maintien du traité, tout comme l’industrie agricole. Tous tentent d’éviter une décision intempestive du président. Malheureusement, personne n’est capable de prédire ce que fera le président dans les prochains jours. Va-t-il perdre patience et tout simplement mettre fin à l’ALÉNA ou reporter les négociations? Il est déjà trop tard pour soumettre un nouveau traité à législature mexicaine à cause des élections qui arrivent en juillet et dans quelques jours, ce sera pareil pour les Américains à cause des élections de novembre. Soit le président américain fera un geste qu’on va beaucoup regretter, soit il va simplement maintenir le statu quo jusqu’à la reprise des négociations à la fin 2018, début 2019. C’est ce climat imprévisible qui motive le rythme effréné des négociations et qui explique que des ministres se rendent directement à Washington pour négocier alors qu’il y a une armée de négociateurs canadiens sur place.

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