Paradis fiscaux : les trois enjeux

De la vaste problématique des paradis fiscaux, trois points saillissent :

  1. Ils nous coûtent collectivement très cher.
  2. L’approche technique prime à tort sur la politique et diplomatique
  3. Le Canada porte une responsabilité historique très grande dans leur création

Les paradis fiscaux coûtent cher
Si les données chiffrées sont pertinentes pour obtenir un ordre de grandeur de ce que représente le phénomène offshore, s’en tenir à de strictes évaluations ne suffit pas. À partir de l’évaluation faites par James Henry du Tax Justice Network USA il y a quelques années sur les capitaux présents dans les paradis fiscaux, à savoir qu’entre 21 mille milliards et 32 mille milliards de dollars y circuleraient actuellement, le Nouveau Parti Démocratique a estimé à quelque huit milliards les pertes qu’ils faisaient subir aux gouvernements du Canada, au prorata du poids de notre pays dans l’économie mondiale. 

Si l’exercice n’est pas inintéressant, il n’est pas suffisant pour autant. C’est en vertu d’une lecture qualitative qu’on peut commencer à concevoir ce qu’il en est de la spirale offshore qui entraîne les économies du monde dans le gouffre de l’anomie.

Ce sont en effet, en ce qui regarde le Canada, des dizaines de milliards de dollars qui se trouvent détournés dans les paradis fiscaux aux fins de l’évitement fiscal. According to Statistics Canada, as of December 31, 2016, six of the ten countries throughout the world in which Canadian companies held the largest investments were tax havens — Barbados, Luxembourg, the Cayman Islands, Bermuda, the Netherlands and the Bahamas. These so-called “investments” that Canadian companies had placed in these jurisdictions where the tax rate is zero or close to zero amounted to at least $262 billion. In 1990, Statistics Canada had estimated the amount placed in accommodating jurisdictions by Canadian companies at $11 billion. This amounts to an increase in the area of 2,300% in the space of barely more than a quarter-century. Le minuscule État de la Barbade, qui est de la taille des villes de Gatineau au Québec ou London en Ontario, figure pour cette raison à chaque année au deuxième ou troisième rang des États du monde dans lesquels les entreprises canadiennes « investissent » le plus. Au cœur de ces transferts de fonds se trouvent des montages conçus par des juristes d’entreprises et comptables chevronnés pour permettent aux entreprises les plus puissantes et particuliers puissants de contourner le fisc.

Cet état de fait entraîne bien entendu un important manque-à-gagner dans le trésor public. Mais on se tromperait de considérer que là s’arrête le problème. Il n’y fait en réalité que commencer.  Car plutôt que de faire la lutte aux paradis fiscaux, les États traditionnels les imitent : ils revoient continuellement à la baisse les impôts et les taxes qui concernent le grand capital. Au palier fédéral seulement, le taux d’imposition sur le revenu des sociétés était de 38% en 1981, il est de 15% aujourd’hui. Non seulement l’État n’arrive pas à imposer ce que ces entreprises transfèrent légalement dans les paradis fiscaux, mais, au nom de la concurrence fiscale, il impose moins qu’avant ceux qui restent. Le cercle vicieux s’accentue lorsqu’on relève qu’au moment de boucler le budget, les États déficitaires empruntent depuis des années à des institutions financières et à des multinationales qu’ils n’imposent plus… C’est le monde à l’envers, puisqu’au titre du service de la dette, on voit désormais les contribuables verser des intérêts à des empires financiers pour leur emprunter les sommes manquantes. Et comme ce n’est jamais suffisant, les gouvernements suppriment des services publics ou font subir à des institutions aussi importantes que des hôpitaux ou des écoles d’importantes compressions budgétaires, alors que les petites gens paient toujours autant d’impôts, voire plus, tandis que les salaires stagnent depuis des années. Enfin, les États n’y arrivant toujours pas, ils finissent par prévoir des frais d’utilisateurs auprès de citoyens qui se prévalent des services publics, bien qu’ils aient déjà participé à leur financement comme contribuables…

C’est tout l’ordre public qui se trouve donc affecté par le phénomène.

L’approche diplomatique

Les paradis fiscaux sont des États ou des législations qui abusent de leur pouvoir de faire des lois. L’Irlande, le Luxembourg, le Panama ou les Bahamas créent des entités de droit en vertu de la capacité à voter des lois de leurs parlements qui excèdent considérablement les affaires relatives au seul territoire sur lequel ils ont des prérogatives. Ils prévoient ainsi la création chez eux de trusts, de sociétés exemptées ou de banques privées absolument opaques du point de vue de l’information et exemptés d’impôts, à la condition que ces structures n’aient nulle activité sur leur territoire. Cela revient à légiférer sur la façon dont le capital sera administré partout dans le monde sauf chez eux. Les États devraient évidemment faire pression d’un point de vue diplomatique sur ces États, qui sont le plus souvent membre de l’Union européenne ou encore du Commonwealth, pour qu’ils abrogent ces dispositions juridiques. L’artifice qu’ont trouvé les États occidentaux consiste en ce que les paradis fiscaux sont des États souverains dans les affaires desquels il ne faudrait surtout pas s’ingérer. Or, ce sont pendant ce temps ces législations qui s’ingèrent dans les affaires des grands États, mais on feint de ne point s’en rendre compte.

Le Canada complice

Parce que des banquiers canadiens ont assuré l’intendance du secteur financier dans les colonies britanniques de la Caraïbes à partir du XIXe siècle, des banques canadiennes, au premier chef la Merchant’s (aujourd’hui la Banque royale du Canada) et la Banque de la Nouvelle-Écosse (maintenant Scotia) se sont imposés dans ces territoires comme de véritables souverainetés. Lorsque les retombées du plan Marshall se sont fait ressentir en Europe au milieu du XXe siècle en mettant en libre circulation dans le monde des dollars états-uniens que plus aucune autorité ne contrôlait, et lorsque la mafia américaine saisie par la condamnation d’Al Capone pour des raisons fiscales a entrepris de délocaliser ses actifs financiers à l’étranger, les banques canadiennes dans la Caraïbes ont convaincu les élus locaux des colonies britanniques de la Caraïbes de transformer leurs petites législations en des États libertariens, ultrapermissifs et criminogènes. Un ancien directeur de la Banque centrale du Canada, Graham Towers en Jamaïque, un ancien ministre des Finances, Donald Flemming aux Bahamas, un membre très influent du Parti conservateur du Canada, l’avocat Jim McDonald aux Îles Caïmans, et le gouvernement du Canada lui-même vis-à-vis de la Barbade, ont, des années 1960 aux années 1980, créé ces paradis fiscaux aujourd’hui redoutables. Encore maintenant, le Canada partage son siège dans les instances de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international avec plusieurs de ces paradis fiscaux de la Caraïbe britannique et noue des ententes fiscales avec eux pour rendre légaux les délocalisations d’actifs d’entreprises, bien qu’ils contreviennent à l’esprit de la loi sur l’imposition.

Alain Deneault - Directeur de programme au Collège international de philosophie et auteur de Offshore, The Rule of Global Crime (The New Press), Canada : A New Tax Haven (TalonBooks) et Legalizing Theft (Fernwood)

 

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