Le récent rapport annuel de l’Institut du Québec comparant Montréal à 14 autres villes nord-américaines brosse un tableau mitigé. Bien que notre ville se classe deuxième, derrière Minneapolis, pour la qualité de vie, notre activité économique par habitant demeure loin derrière celle des villes américaines comme San Francisco, Boston et Seattle.
« La croissance économique des dernières années est hors norme et invite à l’optimisme », résume l’Institut dans son rapport de 45 pages, produit en collaboration avec la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et Montréal International. « Mais il faudra que cette cadence se maintienne durant plusieurs années afin que Montréal puisse grimper au classement nord-américain. »
Que doit-on en retenir?
Richard Shearmur, directeur de l’École d’urbanisme de l’Université McGill, étudie le développement économique de la ville depuis les années 1990. Il partage sa lecture du rapport avec MDLV.
MDLV : Le taux de chômage dans la grande région métropolitaine atteint un niveau historiquement bas, l’émergence de la ville comme pôle de recherche en intelligence artificielle suscite énormément d’enthousiasme, mais Montréal demeure toujours presque à la queue de peloton en ce qui a trait à la croissance et à l’activité économiques. Quel est le problème?
R. S : Montréal semble toujours avoir de la difficulté à soutenir la comparaison à l’échelle internationale sur le plan des revenus et du produit intérieur brut. Cette situation peut s’expliquer, d’une part, parce que Montréal n’a pas un statut de ville mondiale – elle héberge donc moins de sociétés générant des revenus très élevés en finances et en gestion d’entreprises –, et, d’autre part, en raison de son assise économique traditionnelle – le secteur manufacturier à bas salaires, l’éducation et les services aux entreprises –, qui n’engendre tout simplement pas de très hauts revenus.
Cela peut sembler malheureux, mais, en fait, ce résultat explique en partie les scores très élevés qu’obtient Montréal en matière d’égalité des revenus (un indicateur de la qualité de vie) – que de nombreuses personnes (y compris la Banque mondiale) commencent à voir comme une importante marque de stabilité. Ainsi, je dirais que c’est notamment parce que l’écart entre les revenus est maîtrisé que l’indice de qualité de vie est élevé chez nous.
À San Francisco, par exemple, les personnes qui ont des revenus extrêmement élevés font augmenter le revenu moyen sans que les quelque 95 % restants de la population puissent en bénéficier. En revanche, Montréal semble avoir atteint un équilibre qui fonctionne très bien et que l’arrivée de personnes ayant de très hauts revenus pourrait rompre. Voulons-nous vraiment que Montréal ressemble à San Francisco, qui connaît entre autres problèmes une grave crise du logement? Peut-être devrions-nous prendre garde à nos désirs…
MDLV : Les deux autres villes canadiennes ayant fait l’objet de cette comparaison – Toronto et Vancouver – occupent également le bas du classement dans la catégorie « activité économique ». Comment se fait-il?
Au-delà du classement des indicateurs, il est intéressant de noter – tel que mentionné dans le rapport intégral de l’Institut -- que les villes canadiennes se positionneraient nettement mieux en termes de revenus si l’on tenait compte des coûts liés aux soins de santé.
Le rapport examine le revenu disponible. Or, dans les villes américaines, une portion du revenu disponible est consacrée aux soins de santé, tandis qu’au Canada, la plupart de ces coûts sont couverts par les provinces, c’est à dire par les impôts - qui ont pour effet de réduire le revenu disponible apparent. Par conséquent, si on ajoutait cet élément au calcul, l’écart réel entre les villes canadiennes et américaines au chapitre du revenu disponible serait diminué.
Il est très difficile de comparer les villes canadiennes et américaines, notamment en raison de l’écart relatif aux taux de change et aux coûts liés aux soins de santé.
Étant donné que Montréal devient un carrefour international de la recherche en intelligence artificielle, pourrait-elle tirer parti de cette force au cours des années à venir, tout comme y sont parvenues Boston et San Francisco grâce au secteur des technologies?
Je ne crois pas que le secteur de l’intelligence artificielle (IA) puisse créer des dizaines de milliers d’emplois, bien qu’une politique de grappes récemment instaurée par le gouvernement fédéral pourrait permettre aux entreprises spécialisées en IA, qui sont pour la plupart de petite taille, de commencer à se coordonner. Nous comptons une ou deux grandes sociétés, et un grand nombre de petites entreprises. Cette situation me rappelle en quelque sorte les bons et les mauvais aspects de la bulle Internet, où de petites sociétés n’ayant encore généré aucun profit ni revenu foisonnaient. C’est pourquoi la mise en place d’une politique qui vise la coordination des acteurs du secteur pourrait nous permettre d’éviter certains des excès observés dans le cas de cette bulle Internet. Un secteur de l’IA en bonne santé, qui générerait, disons, 10 000 emplois – un chiffre dont nous sommes encore bien loin –, ne constituerait qu’un très petit pourcentage de l’économie totale de la métropole. On ne peut donc pas miser sur le seul effet d’entraînement pour renverser la tendance économique.
Mais si on intègre l’IA aux douze autres grappes industrielles de la ville, en collaboration avec le secteur culturel – industries du cinéma, des effets spéciaux et des jeux vidéo –, nous pourrions véritablement consolider nos atouts dans de nombreux domaines. Et je crois que c’est ce qui fait la force sous-jacente de Montréal, révélée dans le rapport de l’Institut.
Cela étant dit, quelle est notre place sur l’échiquier mondial?
Du point de vue d’un géographe, Montréal est passée de la plus grande ville au pays dans les années 1960 à un statut de ville régionale. On y trouve peu de sièges sociaux et, du même coup, moins de personnes ayant des revenus très élevés.
En ce moment, toutefois, grâce à ses nouvelles forces, à ses grappes industrielles, Montréal s’approche lentement, mais sûrement du statut de ville mondiale de deuxième ou de troisième rang. Beaucoup d’autres villes se spécialisent pour devenir des chefs de file mondiaux dans leurs créneaux respectifs. C’est le cas notamment de Lyon et de Strasbourg, en France, qui évitent ainsi de concurrencer directement Paris. Elles parviennent à tirer leur épingle du jeu à titre de villes régionales tout en établissant des liens solides avec le reste du monde. Et c’est en ce sens qu’évolue désormais Montréal.