Le français, un outil de communication précieux

On oublie parfois que les chercheurs doivent faire connaître le fruit de leur travail et transmettre leur savoir, que ce soit dans les médias traditionnels ou les médias sociaux. Et s’ils peuvent s’acquitter de cette tâche essentielle dans les deux langues officielles, leur auditoire potentiel n’en sera que plus grand. C’est particulièrement vrai au Québec. 

La maîtrise du français est également un précieux outil de collaboration et de découverte de nouveaux horizons professionnels, surtout à l’extérieur de Montréal. 

Kirsten Crandall, Andrew Gonzalez et Jason Opal, chercheurs à McGill, ont recours à la langue de Molière pour faire connaître leurs travaux et leur donner de la valeur. Ces trois anglophones ont pris des chemins bien différents pour apprendre le français, et aujourd’hui, leur bilinguisme est un véritable atout. 

Andrew Gonzalez : adaptations réussies 

Natif de Londres, Andrew Gonzalez a grandi dans le Kent, dans le sud-est de l’Angleterre. « On surnomme souvent cette magnifique région “le jardin de l’Angleterre”. C’était l’endroit rêvé pour un biologiste en herbe », confie le titulaire de la Chaire Liber Ero en biologie de la conservation. 

Andrew a pu profiter d’une nature généreuse, mais également d’une vie familiale tout aussi stimulante. 

« Il y a beaucoup de professeurs de langue dans ma famille; tout le monde parle au moins trois langues, explique-t-il. Mon père est Espagnol et ma mère est Anglaise. Lorsqu’ils se sont rencontrés, le français était leur langue commune. À la maison, j’ai donc toujours entendu mes parents se parler en français même s’ils communiquaient en anglais avec moi. Mon oreille s’est donc habituée au français, ce qui m’a donné une longueur d’avance à l’école. » 

Immersion 

« Après avoir obtenu son doctorat de l’Imperial College de Londres, Andrew est devenu enseignant à l’Université Paris VI où, de son propre aveu, sa connaissance du français a été mise à rude épreuve pendant la préparation de ses cours d’écologie et d’évolution de premier cycle. 

« Je me suis plongé dans la terminologie technique et scientifique de mon domaine, et j’ai appris à préparer de bons exposés en français. Mes premiers cours ont été très stressants et l’apprentissage exigeant, mais en quelques mois, j’ai énormément amélioré ma compréhension du français ainsi que ma capacité à enseigner les sciences dans cette langue et à communiquer efficacement et facilement avec les étudiants. » 

Spécialiste des questions de biodiversité 

Andrew Gonzalez est arrivé à McGill en 2003. Évidemment, un déménagement de cette ampleur vient avec son lot de changements, et 19 ans plus tard, l’adaptation se poursuit. 

« À mon arrivée au Québec, j’ai dû adapter mon français rapidement. Je me suis familiarisé avec l’accent québécois et j’ai adopté un nouveau vocabulaire pour travailler avec des représentants du gouvernement provincial, des maires, ou des ONG en protection de l’environnement et d’autres organismes qui faisaient appel à mes compétences de scientifique spécialiste de la biodiversité. Et je n’arrête pas d’apprendre; il m’arrive encore de ne pas comprendre certaines expressions courantes. » 

On demande souvent à Andrew de commenter des nouvelles liées à la crise de la biodiversité. « Pendant mon séjour à McGill, j’ai eu la chance de parler de science à la radio et à la télé (RDI) francophones ou de répondre aux questions de journalistes travaillant pour des journaux francophones tels que Le Devoir et La Presse. Je dois arriver à vulgariser l’information pour éliminer le jargon technique qui peut faire ombrage au côté fascinant, ou terrifiant, d’une découverte. » 

Andrew a d’ailleurs accordé une entrevue sur les défis de la protection de la biodiversité, publiée dans le magazine L’actualité le 3 mars dernier. 

Le secret est dans la pratique 

Pour Andrew, la meilleure façon d’apprendre le français, ou n’importe quelle langue, c’est de le parler régulièrement et dans le plus de contextes possible. 

« J’aime beaucoup écouter la radio ou regarder des films en français. Pouvoir parler et écrire à un ami francophone prêt à vous donner un coup de main est également fort utile. J’ai déjà voulu tester mes compétences en traduisant plusieurs chapitres du livre L’origine des espèces de Darwin du français vers l’anglais. Ce n’est pas la méthode la plus facile ni la plus rapide, mais mes compétences et ma confiance ont progressé par à-coups. C’est en m’exposant à une diversité de contextes d’apprentissage et de communication que j’ai amélioré ma capacité à travailler en français. » 

Kirsten Crandall : le bilinguisme ouvre des portes 

La biologie est un domaine exigeant, et l’apprentissage du vocabulaire scientifique dans une autre langue ajoute un degré de difficulté. Mais pour la doctorante Kirsten Crandall, la maîtrise du vocabulaire spécialisé en français n’est pas un luxe, c’est une nécessité. 

« Je réalise une grande partie de mes travaux de recherche à l’extérieur de l’île de Montréal, et plus on s’éloigne de Montréal, moins les anglophones sont nombreux, fait remarquer Kirsten. Si je m’en tenais à l’île de Montréal et à une seule langue, mes horizons seraient beaucoup plus limités. » 

Un contact avec le français dès l’enfance 

Doctorante en biologie à l’Université McGill et à l’Université d’Ottawa, Kirsten Crandall a grandi au sein d’une famille anglophone dans l’Ouest-de-l’Île, secteur majoritairement anglophone, et à Vaudreuil-Dorion, banlieue principalement francophone. Kirsten Crandall a acquis une bonne maîtrise des deux langues avant même d’entrer à l’école, et a suivi de nombreux cours en français pendant son primaire et son secondaire ainsi qu’au cégep. 

« J’ai fréquenté une école privée où l’enseignement était bilingue, précise-t-elle. De la maternelle à la sixième année, les journées se déroulaient à 50 % en anglais et à 50 % en français. Par la suite, j’ai pu changer ce ratio à ma guise. » 

Au baccalauréat et à la maîtrise à McGill, Kirsten a fait ses travaux principalement en anglais, mais au doctorat, elle a commencé à travailler avec des groupes environnementaux et des entreprises privées francophones. 

« Je travaillais avec beaucoup de francophones unilingues et de personnes bilingues qui préféraient que les communications soient en français. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à utiliser le français dans mes recherches. » 

Des horizons élargis 

À cette époque, Kirsten a également compris qu’elle devait améliorer sa connaissance du vocabulaire spécialisé pour pouvoir parler aisément de biologie en français. 

« Ma carrière se déroulera fort probablement dans un domaine à prédominance francophone, précise t elle. J’ai réalisé qu’il serait très avantageux pour moi d’apprendre les termes en français et d’expliquer plus aisément mes travaux de recherche dans les deux langues. » 

En parlant français tous les jours, à la maison et au travail, Kirsten a gagné en confiance et a vu des portes s’ouvrir devant elle. 

« Si je ne parlais pas français, je ne pourrais pas obtenir un emploi au gouvernement du Québec parce que la connaissance du français est une exigence, précise Kirsten. C’est aussi vrai au gouvernement fédéral. Il faut être bilingue. Je savais que pour rester ici à long terme, ce qui sera probablement le cas, et pour élargir mes perspectives le plus possible, je devais absolument optimiser ma connaissance du français. » 

Jason Opal : une persévérance payante 

Contrairement à Andrew Gonzalez et à Kirsten Crandall, Jason Opal a appris le français relativement tard. En 2009, Jason vivait dans le Maine, avec son épouse, lorsqu’il a décroché un emploi à McGill et a décidé de commencer à suivre des cours de français. 

« Lorsque j’ai obtenu ce poste permanent, ma femme était enceinte de notre premier enfant, et je savais que cet enfant allait fréquenter une école francophone. J’estimais que je devais apprendre le français pour la vie de tous les jours, pas simplement pour mon travail à l’Université. Je voulais pouvoir aider mon enfant avec ses travaux scolaires, parler à mes voisins, faire réparer mon auto, explique Jason, professeur agrégé au Département d’histoire. Le bien-être de ma famille a été ma motivation première. Ensuite, j’ai voulu être à l’aise dans mon milieu de vie et ne pas m’isoler. » 

« J’ai grandi aux États-Unis – mon père était médecin dans l’armée – où l’apprentissage d’une deuxième langue n’est pas une priorité. Apprendre le français à 33 ou 34 ans n’a pas été une mince affaire. » 

Professeur et étudiant 

À son arrivée à Montréal, en 2009, Jason Opal a redoublé d’efforts. Il a suivi des cours de français à McGill, a engagé un tuteur et a consacré au moins une heure par jour à ses études, tout ça en plus de son travail de professeur. « Je me suis donné à fond, se rappelle-t-il. J’écoutais des chansons en français en lisant les paroles et je demandais tout le temps à mes collègues de m’écrire des courriels en français. J’ai fait tout ce que j’ai pu. » 

Lentement, il a commencé à voir ses efforts récompensés. En moins de deux ans, Jason a été invité à faire partie d’un comité de thèse, dont toutes les réunions se déroulaient en français. « Ensuite, ça m’a pris encore un an avant de me sentir vraiment à l’aise. Mais c’est comme ça qu’on apprend, non? Il faut parfois sortir de sa zone de confort. » 

C’est en 2014 que le véritable tournant s’est opéré, lorsque Jason, sa femme et leurs deux enfants sont allés passer l’été à Paris pendant que leur maison était en rénovation. 

« À Montréal, nous étions entourés de francophones, mais à Paris, ce fut une véritable immersion. À la fin de notre séjour, je ne craignais plus de faire des erreurs de grammaire. Ce n’est pas facile pour un professeur; je ne voulais pas me tromper. Mais il faut pouvoir se faire comprendre. Nul besoin de s’exprimer comme Molière : il suffit de parler, et les gens voient qu’on fait des efforts. » 

« Le français a changé notre vie » 

Les francophones reconnaissent les efforts de Jason, mais ils reconnaissent également son expertise. Par exemple, lors des dernières élections américaines, Jason a souvent été invité comme commentateur par les médias, y compris par la télé et la radio francophones. 

Le français a aussi donné une dimension nouvelle à ses activités de rayonnement. Avant le début de la pandémie, Jason faisait souvent des exposés dans un cégep francophone. « En m’écoutant parler de mes recherches dans un “français de base”, les étudiants francophones ont vu que McGill pouvait être une avenue pour eux. Après mes présentations, des étudiants m’écrivaient pour me poser des questions sur les démarches d’admission. » 

Mais pour Jason, c’est à la maison que les efforts déployés pour apprendre le français prennent tout leur sens. « Notre connaissance du français a grandement amélioré notre quotidien, et surtout celui de nos enfants, qui fréquentent tous deux une école francophone. Ils ont acquis une belle confiance en eux. C’est une vraie chance d’être bilingue, et je peux difficilement imaginer quelle serait notre vie si nous ne parlions pas français. » 

 

 

(de gauche à droite) : Jason Opal, Kirsten Crandall et Andrew Gonzalez

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