Un langage plus inclusif : un pas vers un monde plus inclusif

Prof. Catherine Leclerc de McGill enseigne un cours avant-gardiste sur l’écriture inclusive non-sexiste

Même l’Académie française, cette gardienne auto-proclamée de la langue française, a finalement cédé sur la féminisation des noms – en 2019, toutefois, et portant uniquement sur les métiers. Et après avoir longtemps qualifié l’écriture inclusive de « péril mortel » pour la langue française. Il serait désormais acceptable, semble-t-il, de parler d’une ‘autrice’, ‘ingénieure’, ‘politicienne’ ou ‘professeure.’

Merci, membres distingués de l’Académie, mais Catherine Leclerc n’a pas attendu. Après sa formation en traductologie il y a une vingtaine d’années, elle a commencé à examiner de plus près le langage inclusif.

« Les premières personnes qui ont parlé d’écriture inclusive se servaient de ce terme-là pour décrire une écriture non-sexiste, qui inclurait les femmes dans l’humanité, » explique Catherine Leclerc, maintenant professeure agrégée au Département des littératures de langue française, de traduction et de création de McGill.

« Ce qu’on appelait l’écriture inclusive au début en français utilisait la féminisation comme synonyme ; l’idée c’était par exemple de parler de ‘pompière’ et d’un ‘pompier.’ L’anglais a utilisé la démarche opposée. On n’a pas ajouté ‘firewoman’ à ‘fireman’, mais on a transformé le terme en ‘firefighter.’ »

« L’anglais est au départ plus ‘gender neutral’ que le français, qui est une langue très genrée. »

Le langage inclusif a évolué beaucoup plus rapidement en anglais qu’en français, selon Professeure Leclerc. La preuve ? Les dictionnaires de langue anglaise incluent un pronom non-binaire, alors que ceux de langue française ne le font pas. Le français s’est moins pressé, bien que la pratique fait son chemin. « They » en anglais désignant une personne qui s’identifie non-binaire, par exemple, est beaucoup plus courant que « iel » ou « ille » en français.

Pour rendre compte de cette évolution, Professeure Leclerc a conçu, ce trimestre pour la première fois à McGill, un cours intitulé ‘L’écriture inclusive’ dans le cadre du cours général Langage et littérature 1.

« On étudie les théories de la langue, la manière dont les écrivains et les écrivaines les font évoluer ou les reprennent… Les premiers cours portent sur l’histoire – et d’abord l’histoire de la masculinisation. Puis celle de la reféminisation. »

En français, la règle ‘le masculin l’emporte sur le féminin’ fait loi – pour faire référence à un auditoire composé de 9 999 femmes et un homme, on est tenu de dire « ils. »

« Il y a trois exercices pratiques, explique Professeure Leclerc, où je demande aux étudiant.es de réécrire des textes suivant telle ou telle stratégie d’écriture inclusive… On fait un peu l’histoire de la langue, un peu de grammaire et un peu d’analyse de textes littéraires qui utilisent des stratégies soit pour mettre le féminin à l’avant-plan, soit pour brouiller la binarité des genres. »

Changement provient du bas

« Je m’intéresse depuis longtemps à la manière dont les pratiques linguistiques marginalisées peuvent accéder à la légitimation, dit Catherine Leclerc. J’étais curieuse : est-ce que ça va arriver en français, comment est-ce qu’on peut faire, quand est-ce que ça va arriver ? Ce sont ces étincelles qui ont voulu que je donne des cours sur ce sujet-là. »

« L'exemple le plus spectaculaire de succès en matière de légitimation est celui de l'anglais américain, dont les normes sont considérées comme légitimes partout… Plus modestement, le joual québécois était extrêmement stigmatisé dans les années 1960, avant d'être revendiqué par des artistes. Aujourd'hui, il agit un peu à la manière d'un registre, tout à fait approprié dans certaines circonstances. »

Il y a aussi eu des ratés monumentaux.

« Qui dit gaminet pour T-shirt, ou hambourgeois pour hamburger ? demande Professeure Leclerc. D'autres ont eu énormément de succès : ‘courriel’ a émergé à la fin des années 1990 et s'est si bien imposé qu'il a donné naissance à ‘pourriel’. »

« La question d’écriture inclusive est un peu la même. On est dans un moment où il y a accès à une certaine légitimation. Qu’est-ce qui se passe ? Comment ça fonctionne ? »

« Ce qui est vraiment intéressant, c’est que ce n’est pas venu des ‘pros’ de la langue. »

En fait le changement est venu du côté des milieux communautaires et de l’évolution spontanée du langage – par exemple, une personne qui préfère la désignation d’ingénieure ou de factrice, ou encore le pronom « iel. »

« Il faut [aussi] remercier les personnes transgenres et non-binaires elles-mêmes pour s’être inspirées de l’anglais jusqu’à un certain point et avoir cherché à créer des néologismes en français qui fonctionneraient », ajoute Prof. Leclerc.

À l’heure actuelle, le français évolue rapidement également – surtout au Québec concernant les professions - ce qui, toutefois, ne signifie pas une acceptation universelle du concept d’écriture inclusive.

Parmi les 12 personnes inscrites au cours de Professeure Leclerc, il existe un débat vigoureux sur l’utilisation des pronoms non-sexistes et autres aspects de l’écriture inclusive.

Néanmoins, les choses déboulent rapidement, ajoute-t-elle, au point où l’enseignante peut « faire des affirmations avec confiance maintenant [sur l’écriture inclusive] à propos desquelles je n’étais pas du tout certaine il y a deux ans à peine. »

« L'exemple le plus frappant est l'usage du point médian (ex : ‘chercheur.es’ désignant masculin et féminin). Toutes sortes de stratégies ont été employées pour exprimer le féminin et le masculin sans doublets (‘étudiantes et étudiants’), ce qui sauve de l'espace dans un texte et permet d'éviter la discrimination envers les personnes non-binaires et fluides dans le genre : parenthèses, tirets, barres obliques... Je crois désormais pouvoir affirmer avec confiance que, parmi les caractères remplissant cette fonction, c'est le point médian qui va s'implanter. »
Au Québec, ‘auteure’ s’est implanté d’abord, suivie de la revitalisation d’‘autrice.’

« Les gens disaient: 'je me suis habituée à auteure, autrice c'est laid'. Je suis à présent convaincue qu'il est ressuscité pour de bon. Il ne convient pas à tous les usages, mais il ne disparaîtra pas. »

Vaste processus de démasculinisation

Changer les mots uniquement ne réglera pas tous les problèmes de sexisme. L’historienne française de la littérature Éliane Viennot a exercé une grande influence sur elle, dit Catherine Leclerc. Celle-ci a démontré que la règle ‘le masculin l’emporte sur le féminin’ provient non d’une évolution progressive et naturelle du langage, mais d’un effort conscient et soutenu d’hommes datant du XVIIe siècle pour exclure les femmes systématiquement de certaines professions, notamment de la fonction publique. Résultat : le masculin est venu à être considéré « plus noble. »

Avant cette démarche hautement politique, les accords se faisaient spontanément en fonction surtout de proximité – les boulangeries, les fermes, les cordonneries au moyen âge, par exemple, étaient généralement tenues en couple, et donc la boulangerie était tenue par ‘une boulangère et un boulanger’, etc., sans que personne ne questionne les genres.

La ‘démasculinisation’ passe certainement par les mots, mais est dans l’ensemble une entreprise beaucoup plus vaste.

Professeure Leclerc prend à cœur les initiatives de McGill pour accélérer ce processus de démasculinisation.

« Depuis quelques années, il y a toutes sortes [d’initiatives] sur toutes sortes de fronts… Il y a des démarches répétées qui vont dans ce sens, que ce soit sur des comités d’embauche ou autre. »

« La question en est une de représentation. Ça prend un président Noir pour que des enfants Noirs puissent imaginer devenir président. Il faut parler de pompière pour qu’un nombre suffisant de femmes puissent imaginer : ‘Je veux devenir pompière’. »

Photo: Catherine Leclerc

Back to top