L’esprit critique, un moyen de défense contre la désinformation
Lors de campagnes de désinformation, comme la campagne pro-Kremlin ciblant l’Ukraine que mène le gouvernement russe depuis longtemps, quelles personnes sont les plus susceptibles de croire de fausses informations? Selon une étude dirigée par l’Université McGill et le Massachusetts Institute of Technology (MIT), les Ukrainiens qui exercent davantage leur esprit analytique étaient moins susceptibles de croire la désinformation pro-Kremlin, même s’ils étaient généralement prorusses.
« L’Ukraine est un endroit où il est difficile d’examiner la relation entre le raisonnement et la capacité à ne pas se laisser duper par la désinformation. C’est un environnement informationnel unique en raison du volume élevé d’attaques de désinformation menées par la Russie et de la méfiance de longue date à l’égard des institutions. Il s’agit donc d’un endroit très différent des démocraties occidentales où sont menées la plupart des études sur la désinformation », explique Aaron Erlich, professeur adjoint au Département de science politique de l’Université McGill.
Bien que des recherches effectuées aux États-Unis aient établi un lien entre un esprit analytique bien aiguisé et la capacité à repérer les mensonges, on ne savait pas, jusqu’à maintenant, si c’était également le cas au sein d’environnements informationnels comme celui de l’Ukraine. Pour réaliser l’étude, dont les résultats ont été publiés dans la revue Political Psychology, les chercheurs ont utilisé les données de travaux menés en ligne et en personne auprès d’un échantillon représentatif de la population ukrainienne.
Jugement hâtif et désinformation
Les chercheurs ont constaté que les personnes qui ont tendance à porter un jugement hâtif et qui exercent peu leur jugement critique sont plus susceptibles de croire la désinformation, que cette dernière soit en adéquation ou non avec leurs convictions politiques.
« Nos résultats sont semblables à ceux de recherches menées précédemment sur les campagnes de désinformation aux États-Unis. Malgré le peu de confiance dans le gouvernement et les médias, les normes journalistiques de niveau inférieur et des années d’exposition à la désinformation russe, les Ukrainiens qui font davantage preuve d’un esprit analytique sont plus à même de distinguer le vrai du faux », indique David Rand, professeur à la Sloan School of Management du MIT.
« L’esprit analytique est la capacité à aborder des questions complexes en évaluant l’information recueillie. Les personnes qui jettent un regard critique sur l’information, par exemple en cherchant à étayer les faits avancés et en vérifiant la vraisemblance des arguments, étaient davantage capables de distinguer le vrai du faux », précise le professeur Erlich.
L’Ukraine, un terreau fertile pour la désinformation
Selon les chercheurs, il est important de comprendre l’héritage laissé en Ukraine par le régime communiste. En raison du contrôle des médias par l’État, dans bon nombre de sociétés postcommunistes comme l’Ukraine, la population a tendance à avoir peu confiance dans l’État et les institutions médiatiques. À cela s’ajoute la campagne de désinformation du Kremlin qui s’est intensifiée depuis 2014, ce qui fait qu’il est plus difficile pour les Ukrainiens de distinguer les faits de la désinformation.
La pensée critique comme moyen de défense contre la désinformation
« Selon nos résultats, tout indique que la pensée critique contribue à affaiblir la désinformation. Il s’agit d’une donnée positive pour l’Ukraine, où il y a depuis longtemps des nouvelles fabriquées et de la désinformation pro-Kremlin. Notre étude montre comment il est possible d’améliorer l’environnement informationnel de pays au sein desquels sont menées des campagnes de désinformation similaires », indique le professeur Rand.
L'étude L’article « Does analytic thinking insulate against pro-Kremlin disinformation? Evidence from Ukraine », par Aaron Erlich, Calvin Garner, Gordon Pennycook et David Rand, a été publié dans la revue Political Psychology. |
L’Université McGill
Fondée en 1821, à Montréal, au Québec, l’Université McGill figure au premier rang des universités canadiennes offrant des programmes de médecine et de doctorat et se classe parmi les meilleures universités au Canada et dans le monde. Institution d’enseignement supérieur de renommée mondiale, l’Université McGill exerce ses activités de recherche dans trois campus, 11 facultés et 13 écoles professionnelles; elle compte 300 programmes d’études et au-delà de 39 000 étudiants, dont plus de 10 400 aux cycles supérieurs. Elle accueille des étudiants originaires de plus de 150 pays, ses 12 000 étudiants internationaux représentant 30 % de sa population étudiante. Au-delà de la moitié des étudiants de l’Université McGill ont une langue maternelle autre que l’anglais, et environ 20 % sont francophones.