Un professeur de McGill réussit à augmenter de 25 % les rendements de soya:
naissance dune nouvelle technologie et dune nouvelle entreprise
Les nourrissons qui sont allergiques au lait de vache lui doivent la vie. Les pâtes, lhuile et les condiments qui en sont dérivés sont généralement fort appréciés. Une grande proportion du cheptel mondial sen nourrit. Il ne faut donc pas sétonner que même dans les régions septentrionales de lAmérique du Nord, 25,5 millions dacres de terre soient consacrés à la culture du soya. "Et ce malgré le fait que la plante y trouve des conditions fort différentes de celles où elle a évolué ", déclare le professeur Don Smith, du département de phytotechnie de lUniversité McGill, lun des spécialistes internationaux de la culture du soya. "Lancêtre sauvage du soya a évolué sous les tropiques, ce qui explique que cette plante naime pas le froid. Lune des propriétés les plus attrayantes de la plante ny est dailleurs guère mieux adaptée. Grâce à la relation de symbiose quil établit avec Bradyrhizobium, le soya ne requiert aucun engrais azoté. Or lazote est le plus coûteux des éléments fertilisants dun engrais. Cette bactérie présente dans le sol permet en effet à la plante de fixer lazote en grande partie inerte qui compose 80 % de lair que nous respirons; en retour, la plante laisse la bactérie se nourrir du sucre que contiennent ses tissus. "
Comme cette bactérie peut sintroduire dans les racines des légumineuses, la plante ne doit admettre que les bactéries utiles et rejeter toutes les bactéries pathogènes qui pourraient endommager ses racines. Pour ce faire, la plante émet des signaux que capte Bradyrhizobium, ce qui lincite à "nager " vers les racines. Ces signaux activent également des gènes bactériens normalement inactifs, qui jouent un rôle crucial dans le développement des excroissances radiculaires (nodules), où les bactéries finissent par sétablir lorsquelles fixent lazote. Ces gènes commencent aussitôt à émettre des signaux qui activent chez la plante les gènes responsables du développement des nodules.
Ces gènes sont très spécifiques et seuls ceux produits par la bactérie conviennent aux légumineuses qui émettent les bon signaux. Il y a là un échange fascinant, car la bactérie et la plante régulent le génome de leur partenaire avant même dentrer en contact. Selon le professeur Smith, le système fonctionne comme un subtil mécanisme déchange de mots de passe : " il faut que lun des partenaires pose la bonne question et que lautre fournisse la bonne réponse." Mais il y a plus : le sol doit être à la bonne température.
M. Smith et ses étudiants ont en effet découvert que cet échange est perturbé par le froid qui persiste normalement dans le sol au début de la saison de croissance, dans la plupart des régions septentrionales où on cultive le soya. Les bactéries utiles mettent donc beaucoup de temps à pénétrer dans les racines du soya pour commencer à y fixer lazote. M. Smith a constaté que lorsquils sont soumis à un stress, par exemple lorsque la température du sol est inférieure à 25 degrés Celsius, ni la bactérie ni le système racinaire de la plante ne peuvent émettre de signaux assez puissants. Les plants de soya qui poussent dans des sols froids ont donc beaucoup de difficulté à fixer suffisamment dazote pour assurer leur croissance. En général, ces difficultés se manifestent par un feuillage pâle et une croissance lente. Le professeur Smith et son équipe ont démontré quen dessous de 25 degrés Celsius, toute baisse de la température dun degré supplémentaire se traduit par un retard de deux jours dans le déclenchement du processus de fixation de lazote. En dessous de 17 degrés, le retard de croissance atteint même sept à dix jours par degré de moins.
Le professeur Smith voulait aussi voir si toutes les étapes du processus de formation des nodules étaient également sensibles au froid ou si certaines y étaient particulièrement résistantes. "Nos expériences là-dessus ont révélé que les 12 heures qui suivent lexposition des racines aux bactéries revêtent une importance cruciale. Nous avons donc examiné le processus déchange de signaux qui, on le sait, se produit durant ces 12 heures; ces recherches ont nécessité au moins dix ans de travail sur le terrain et en laboratoire. Nous avons ainsi découvert que les racines ont de la difficulté à émettre leurs signaux lorsque la température baisse en dessous de 25 degrés Celsius et quil en va de même pour la bactérie. Nous avons donc mis au point une technique qui nous permet de résoudre ce problème. " Lorsquil ensemence un champ de soya, lagriculteur ajoute normalement un inoculant contenant des bactéries utiles aux semences juste avant de les mettre en terre. Mais plus la température est inférieure à 25 degrés Celsius au moment de lensemencement, plus lente est la germination. Au Canada, la température du sol se situe généralement autour de 10 degrés Celsius durant la période densemencement. Cest pourquoi le professeur Smith et son équipe ont décidé dajouter une molécule-signal à linoculant répandu dans le sol avec les semences de soya. Ils ont ainsi constaté que dans les cultivars traités avec leur solution, les nodules se formaient plus rapidement et que la plante commençait à fixer lazote quatre ou cinq jours plus tôt. Cest là un gain important, car la fixation de lazote par les plants de soya cultivés au Canada cesse vers la mi-août, lorsque les graines se forment dans les gousses. La période de fixation de lazote est donc brève et le moindre gain, même de quelques jours, peut avoir un effet considérable. "En fin de compte ", précise le professeur Smith, "nous avons obtenu une augmentation de 40 % à 70 % de la quantité totale dazote fixée durant la saison de croissance, ce qui, dans certains cas, sest traduit par un accroissement de rendement de 25 %. Les expériences en laboratoire ont démontré que la molécule-signal est efficace dans les sols froids; nous venons maintenant de démontrer quelle lest également sur le terrain."
Cest par hasard que le professeur Smith a eu vent dInnoCentre, organisme à but non lucratif qui a pour mission de favoriser la création dentreprises de haute technologie qui exploitent les résultats des recherches réalisées dans les universités. Cest InnoCentre qui a eu lidée de créer une entreprise, à qui il fallait toutefois trouver un gestionnaire. Mais lincubation de NorAg Inc. sur le campus Macdonald de luniversité McGill a pu se faire grâce aux efforts combinés du vice-principal adjoint à la recherche Bernard Robaire, qui a fortement appuyé le projet, et du Bureau de transfert de technologies de McGill.
La création de lentreprise est dailleurs survenue à point nommé. Les fonds de recherche dont disposait le professeur Smith commençaient à sépuiser par suite des compressions pratiquées dans les budgets gouvernementaux daide à la recherche depuis quelques années. La compagnie a donc créé de nouveaux débouchés pour le personnel du laboratoire du professeur Smith. Cest ainsi que Stewart Leibovitch, qui en était le directeur, a quitté son poste pour assumer la direction de lentreprise. Mais NorAg ayant récemment pris son envol, Stewart Leibovitch et Don Smith ont vite compris que, du fait de leur complexité et de leur nature, les activités de cette entreprise sortent du cadre strictement scientifique de leurs compétences. Pour remédier à ce problème, ils ont invité Pierre Migner, ex-étudiant du professeur Smith qui travaillait dans lindustrie depuis la fin de ses études, à prendre la gestion du volet commercial de lentreprise et à en devenir le nouveau président.
NorAg concentre son activité dans le développement et la commercialisation de produits de traitement de semences à base de microorganismes; ces produits sont conçus pour accroître les rendements et la qualité des cultures de grande importance économique. Le gouvernement fédéral vient dhomologuer, en vue de sa commercialisation dès ce printemps, un inoculant qui contient la souche 532-C de Bradyrhizobium. Cest cette souche, mise au point par le professeur David Hume de lUniversité de Guelph, qui a été traitée à laide des nouveaux déclencheurs biologiques conçus par le professeur Smith au campus Macdonald de lUniversité McGill.