Comment l'hydrogène fragilise les métaux
Depuis la découverte de ce phénomène, en 1875, la fragilisation par l’hydrogène est un problème persistant dont les scientifiques doivent tenir compte dans la conception de matériaux de structure utilisés notamment pour la construction de navires de guerre, d’aéronefs et de réacteurs nucléaires. Des décennies de recherche n’ont pas encore permis aux experts d’élucider les mécanismes physiques à l’origine de ce problème, ni d’élaborer de modèle rigoureux permettant de prévoir le moment et l’endroit où la fragilisation par l’hydrogène est susceptible de survenir, pas plus que la façon dont elle se produit. Par conséquent, les concepteurs industriels doivent se résoudre à procéder par essais et erreurs.
Toutefois, Jun Song, professeur adjoint au Département de génie des mines et des matériaux de l’Université McGill, et le professeur William Curtin, directeur de l’Institut de génie mécanique de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse, ont récemment démontré que le problème pourrait résulter de l’altération du comportement des matériaux par l’hydrogène à l’échelle nanométrique. Dans le cadre de leurs travaux, qui ont fait l’objet d’un article publié dans la revue Nature Materials, les professeurs Song et Curtin ont élaboré un nouveau modèle qui permet de prédire avec exactitude la survenue du phénomène de fragilisation par l’hydrogène.
Normalement, les métaux peuvent supporter une importante déformation plastique sous l’effet de certaines forces. Cette plasticité est attribuable à la capacité des nanofissures et des microfissures d’induire des dislocations dans le métal – mouvements des atomes qui permettent de réduire les contraintes auxquelles les matériaux sont soumis.
« On peut comparer les dislocations à des véhicules qui permettent de transporter les déformations plastiques, et les nanofissures et les microfissures à des plaques tournantes qui assurent la dispersion de ces véhicules », explique le professeur Song. « Les propriétés que l’on recherche chez les métaux, telles la ductilité et la résistance, reposent sur le bon fonctionnement de ces plaques tournantes. Malheureusement, ces dernières attirent également les atomes d’hydrogène qui fragilisent le métal en provoquant une sorte d’embouteillage : ils s’agglutinent autour de la plaque tournante, bloquant ainsi toutes les voies de dispersion des véhicules. Il en résulte ultimement une dégradation des matériaux. »
Le professeur Song a eu recours à des simulations informatisées à l’aide d’appareils à la fine pointe de la technologie pour expliquer comment les atomes d’hydrogène se déplacent dans les métaux et interagissent avec les atomes de métal. Cette simulation a été suivie d’une étude cinétique rigoureuse afin d’établir des liens entre les observations à l’échelle nanométrique et les conditions expérimentales macroscopiques.
Les chercheurs ont ensuite utilisé ce modèle pour déterminer les seuils de fragilisation de divers types d’acier ferritique, et les résultats obtenus présentaient une excellente concordance avec les observations expérimentales. Cette étude propose un cadre pour l’interprétation des données expérimentales et la conception de matériaux de structure de la prochaine génération moins susceptibles d’être fragilisés par l’hydrogène.
Ces travaux ont été financés en partie par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le Bureau de la recherche navale des États-Unis et le Laboratoire de recherche participative General Motors/Brown sur les matériaux informatiques.
IMAGE : La simulation numérique indique les surfaces de fissures microscopiques dans le métal. Les atomes blancs regroupés autour sont de l’hydrogène.