Militantisme écologiste à haut risque
Partout dans le monde, les militants qui dénoncent les injustices environnementales font très souvent l’objet d’accusations criminelles et sont fréquemment victimes de violence physique ou de meurtre; c’est ce que révèle une étude publiée dans la revue Global Environmental Change. Malgré le caractère habituellement pacifique de leurs mesures de protestation, les militants sont victimes de violence dans 18 % des conflits environnementaux, et de meurtre dans 13 %.Lorsque des Autochtones sont concernés, les actes violents sont particulièrement fréquents. Dans les conflits portant sur l’exploitation minière et l’utilisation des terres, des meurtres se produisent dans un cas sur cinq. Ce taux est beaucoup plus élevé que pour les autres types de conflits environnementaux et que la moyenne globale.
Dans le cadre de la plus importante analyse de conflits environnementaux à ce jour, une équipe de recherche internationale, dont fait partie un chercheur de l’Université McGill, s’est penchée sur 2 743 cas de conflit environnemental répertoriés dans l’Atlas mondial de la justice environnementale(EJAtlas). Dans cette carte interactive, on dresse la liste des conflits environnementaux et on ne recense que les cas vérifiables auprès de sources secondaires ayant déjà publié ailleurs.
L’étude montre que, partout dans le monde, on se mobilise à partir de la base et dans toutes les catégories de revenu pour une utilisation plus durable et socialement équitable de l’environnement. Elle révèle également que l’environnementalisme populaire est une force porteuse de durabilité équitable.
Un militantisme qui coûte cher
Toutefois, ce militantisme n’est pas sans sacrifice. Dans 20 % des conflits environnementaux, les militants font face à des accusations criminelles, à des amendes, à des poursuites et à des peines de prison. Dans 18 % des cas, ils sont victimes de violence physique et dans 13 % des cas, ils sont assassinés. Lorsque des Autochtones sont concernés, ces chiffres atteignent des taux de 27 % pour les accusations criminelles, de 25 % pour la violence et de 19 % pour les meurtres.
Dans 11 % des cas recensés dans le monde, les militants ont contribué à freiner des projets dévastateurs pour l’environnement et sources de perturbations sociales tout en défendant leurs moyens de subsistance. « En combinant des stratégies de mobilisation préventive, de diversification des manifestations et de recours aux tribunaux, on peut porter le taux de succès à 27 % », explique Juan Liu, auteure-ressource de l’étude. La recherche indique également que dans 21 % des cas, les femmes jouent un rôle important dans l’organisation des mobilisations, parfois parce qu’elles sont particulièrement visées par les répercussions de ces conflits sur l’environnement et la santé.
L’environnementalisme des pauvres et des Autochtones
Les données révèlent que les militants écologistes font souvent partie de groupes vulnérables qui n’ont habituellement pas recours à la violence. Les militants locaux s’opposent notamment à l’extraction de combustibles fossiles, à l’exploitation minière à ciel ouvert, aux plantations industrielles d’arbres, aux barrages hydroélectriques et à d’autres industries extractives, ou encore à l’élimination des déchets dans les incinérateurs ou les dépotoirs.
« On parle ici de collectivités pauvres et de populations autochtones qui veulent défendre leur gagne-pain et leurs possessions », précise Leah Temper, chercheuse au Département des sciences des ressources naturelles de l’Université McGill et au sein du réseau Leadership for the Ecozoic project, et codirectrice de l’EJAtlas. « Cette étude devrait donner matière à réflexion aux Canadiens puisque les entreprises canadiennes sont surreprésentées dans la base de données sur les conflits environnementaux que nous avons consultée; elles sont en cause dans 8 % des cas analysés. Ainsi, l’EJAtlas recense plus de 150 conflits visant des exploitants miniers canadiens, ce qui range ces compagnies dans le groupe des pires contrevenants aux droits environnementaux et aux droits de la personne du monde ».
L’environnementalisme populaire mondial : une force porteuse de durabilité
Arnim Scheidel, de l’Institut de Ciència i Tecnologia Ambientals (ICTA-UAB) de la Universitat Autònoma de Barcelona, etauteur principal de l’étude, affirme que « pour soutenir les militants écologistes efficacement, il faut mieux comprendre les conflits environnementaux sous-jacents ainsi que les conditions qui doivent être réunies afin que les militants puissent mener une mobilisation fructueuse pour la justice environnementale. »
Toujours d’après l’étude, les conflits environnementaux ne disparaissent pas avec l’accélération du développement économique; ils se déplacent plutôt vers d’autres secteurs, en fonction des ressources exploitées. Il faudra procéder à des changements sociaux importants pour relâcher de façon durable la pression sur les collectivités locales, dont les territoires sont dépouillés de leurs ressources ou deviennent des puits de pollution et d’émissions.
L’article « Environmental Conflicts and Defenders: a global overview », par A. Scheidel, D. Del Bene, J. Liu, G. Navas, S. Mingorría, F. Demaria, S. Avila, B. Roy, I. Ertör, L. Temper et J. Martinez-Alier, a été publié dans la revueGlobal Environmental Change.
https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2020.102104
La recherche a été financée par le Conseil européen de la recherche, le Secrétariat des universités et de la recherche du ministère de l’Économie et de la Connaissance du gouvernement de Catalogne, le Conseil international des sciences sociales pour le projet ACKnowl-EJ et CONACYT (Consejo Nacional de Ciencia y Tecnología).
À propos de l'Université McGill
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