L’étonnante enzyme qui fonctionne comme un couteau suisse
Les algues bleu-vert (aussi appelées cyanobactéries) détiennent un pouvoir particulier, qui explique sans doute leur capacité à envahir si facilement les voies navigables. Elles ont l’extraordinaire faculté de stocker de l’énergie et de l’azote dans leurs cellules en vue d’une utilisation ultérieure. Mais on ne comprend que partiellement comment elles y parviennent.
Des chercheurs de l’Université McGill et leurs collaborateurs de l’ETH Zurich ont découvert une caractéristique des enzymes (appelées cyanophycines synthétases) qui interviennent dans la création de ces réserves de nourriture. Dans un article paru récemment dans Nature Communications, les chercheurs décrivent leurs résultats surprenants, qui par ailleurs permettent d’espérer l’utilisation de ces polymères respectueux de l’environnement dans la fabrication d’un éventail de produits, comme des pansements, des tartrifuges biodégradables ou de la nourriture pour animaux.
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Appelées enzymes polymérases parce qu’elles synthétisent de longues chaînes de polymères, les enzymes comme la cyanophycine synthétase ont habituellement besoin d’amorces sous la forme de courtes « chaînes de démarrage » pour pouvoir assembler de longues chaînes. Les polymérases jouent le rôle de catalyseurs dans un grand nombre de fonctions biologiques, notamment pour déclencher le processus de réplication de l’ARN et de l’ADN, ou pour convertir le glucose en glycogène, comme réserve d’énergie. On croyait que les cyanophycines synthétases de différentes cyanobactéries avaient besoin d’amorces, à l’instar de toutes les autres polymérases, mais les chercheurs ont constaté quelque chose de nouveau.
« Après avoir étudié plusieurs cyanophycines synthétases, nous avons constaté que l’une d’elles n’avait pas besoin d’amorce », dit Itai Sharon, doctorant en biochimie à l’Université McGill et auteur principal de l’étude. « Après trois années à essayer de comprendre ce phénomène, nous avons découvert que cette cyanophycine synthétase possédait en elle un centre de réaction dissimulé qui clivait les acides aminés plutôt que de les lier, comme le font habituellement les polymérases. »
Une polymérase pas comme les autres
Les chercheurs ont découvert que la cyanophycine synthétase pouvait produire, lentement, mais sans amorce, un nombre très restreint de longs polymères de cyanophycine, qu’elle coupait ensuite en plusieurs chaînes courtes dans son centre de réaction récemment découvert. Ce sont ces chaînes raccourcies qui lui servaient alors d’amorces pour la polymérisation rapide.
« Nous comparons la cyanophycine synthétase à un couteau suisse », explique Martin Schmeing, auteur-ressource et directeur du Centre de recherche en biologie structurale de McGill. « Elle réunit trois fonctions enzymatiques (deux qui créent des liaisons et une qui les brise) en une seule machine à polymériser, élégante et autosuffisante. »
« Le plus remarquable dans tout ça? De nombreux chercheurs étudient ces polymérases depuis plusieurs décennies et personne – pas même nous – n’avait remarqué ce phénomène auparavant! »
L’article « A cryptic third active site in cyanophycin synthetase creates primers for polymerization », par Sharon I., Pinus S., Grogg M., Moitessier N., Hilvert D. et Schmeing T. M., a été publié dans Nature Communications le 7 juillet 2022, 13:3923. https://doi.org/10.1038/s41467-022-31542-7 |
L’Université McGill
Fondée en 1821, à Montréal, au Québec, l’Université McGill figure au premier rang des universités canadiennes offrant des programmes de médecine et de doctorat et se classe parmi les meilleures universités au Canada et dans le monde. Institution d’enseignement supérieur de renommée mondiale, l’Université McGill exerce ses activités de recherche dans trois campus, 11 facultés et 13 écoles professionnelles; elle compte 300 programmes d’études et au-delà de 39 000 étudiants, dont plus de 10 400 aux cycles supérieurs. Elle accueille des étudiants originaires de plus de 150 pays, ses 12 000 étudiants internationaux représentant 30 % de sa population étudiante. Au-delà de la moitié des étudiants de l’Université McGill ont une langue maternelle autre que l’anglais, et environ 20 % sont francophones.