L'Origine de l'éthique — Introduction

Tout animal côtoie d’autres individus appartenant à son espèce. Chez certaines espèces, les individus voisins se rencontrent rarement (sauf en période d’accouplement) et demeurent indifférents les uns aux autres. Chez d’autres espèces, les congénères sont rivaux ou adversaires, et leurs interactions sont brèves et hostiles. Toutefois, il existe un bon nombre d’espèces où les individus passent la majeure partie de leur vie en troupeaux ou en hardes, et sont profondément influencés par leur environnement social. Ils peuvent bien sûr rechercher égoïstement leurs propres intérêts au meilleur de leurs habiletés, mais ils ne peuvent se permettre d’être totalement indépendants ou hostiles au reste du groupe.

Parfois, cette cohésion sociale est réduite à sa plus simple expression, comme chez les poissons qui se regroupent en bancs pour se protéger mutuellement contre les prédateurs. Parfois, elle met en oeuvre un partage compliqué du travail entre des castes distinctes qui présentent un éventail de rôles sociaux différents, comme dans les colonies de fourmis ou de termites. Même les bactéries peuvent former des communautés à l’intérieur desquelles différents types contribuent de façon distincte au bien-être de l'ensemble de la communauté. Mais les sociétés les plus évoluées sont de loin celles formées par les êtres humains habitant les villes. Notre vie sociale et économique est entièrement tributaire d'une division précise du travail où chacun exécute une tâche bien définie et dépend de l’activité de plusieurs autres pour assurer la majorité de ses besoins vitaux. Tout cela n’est possible que grâce à la confiance accordée à des étrangers, comme l'a si justement fait remarquer l’un des participants à ce symposium.

En d’autres termes, notre système social et économique repose sur un système éthique qui nous amène à nous en remettre au soutien et à la collaboration d'autres individus, souvent inconnus les uns des autres, du moins dans une large mesure. Comment cela est-il arrivé? Nous pouvons avancer une ou deux explications. La première veut qu'il soit possible de comprendre les sociétés humaines à travers des principes généraux qui gouvernent le mode d'évolution des interactions sociales entre individus voisins chez n’importe quelle espèce vivante. Nous savons que les caractéristiques particulières du corps humain, telles que le développement du cerveau, la faible pilosité et la dextérité, sont le résultat d'une sélection naturelle depuis notre séparation d'avec notre espèce-sœur, le chimpanzé, il y a quelque cinq millions d’années. Notre comportement social peut avoir évolué de la même manière, sous l'action des mêmes agents. En revanche, l’autre point de vue veut que notre comportement social et les systèmes d’éthique qui le régissent soient strictement humains et ne doivent rien aux processus biologiques qui régissent les colonies de fourmis ou les bactéries. Notre corps a bien sûr évolué, mais notre éthique exige un autre type d'explication.

Le quatrième Symposium scientifique public annuel Lorne Trottier, intitulé Singes ou anges : quelle est l’origine de l’éthique?, se penche sur la controverse que suscitent ces deux points de vue de la nature humaine. Pour débattre cette question, nous avons invité des représentants de deux disciplines en apparence différentes, mais qui ont toutes deux pour propos d'expliquer comment les populations changent sous l'effet des exigences contradictoires d'individus tournés vers leurs propres objectifs, tout en demeurant interdépendants. Nous prévoyons donc des échanges passionnants entre les participants dont les opinions pourraient nous faire découvrir une interprétation synthétique de la nature humaine.


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