Nouvelles

La transhumance des espèces sur fond de changements climatiques

Déjà, les effets sur la santé humaine et le travail se font sentir
Publié: 2 July 2024

En ces temps de réchauffement climatique, de nombreuses espèces ont la bougeotte, ce qui ne va pas sans causer des maux de tête aux décideurs de ce monde. Ainsi, à la faveur des changements dans les aires de répartition des moustiques ainsi que des tiques et des chauves-souris porteuses de maladies, des affections telles la malaria et la maladie de Lyme s’immiscent dans de nouveaux territoires et prennent de court les systèmes de soins de santé. Les poissons d’importance commerciale ne sont pas en reste : ils changent eux aussi de territoire, emportant dans leur sillage les perspectives d’emploi et provoquant des différends commerciaux.

Souhaitant comprendre ce phénomène et prévoir à quel moment il se produira pour une espèce donnée, un groupe international dirigé par une équipe de l’Université McGill a mis au jour des facteurs qui, au cours des dernières décennies, ont favorisé ou non les changements d’habitat chez des milliers d’espèces de la planète.

Comme l’explique Jake Lawlor, doctorant à l’Université McGill et auteur principal d’un article paru récemment dans la revue Nature Reviews Earth & Environment : « Dans la plupart des systèmes où les êtres humains utilisent d’autres espèces ou interagissent avec elles, on tient pour acquis que les espèces en question vont rester là où elles sont. En raison des changements climatiques, il faudra désormais tenir compte des redistributions passées et à venir dans les plans de conservation et de gestion des ressources. »

Le réchauffement des températures, certes… mais encore?

L’équipe de recherche a constaté que le réchauffement du climat permettait de prédire plutôt bien, à la base, les mouvements de la plupart des 26 000 espèces suivies à la trace dans la banque mondiale BioShifts. En effet, 59 % des espèces se sont déplacées vers des contrées plus fraîches.

Cependant, dans un bon pourcentage de cas, les choses ne sont pas aussi claires. Ainsi, 41 % des espèces n’ont pas bougé d’un iota ou n’ont pas emprunté la direction vers laquelle aurait dû les diriger le réchauffement des températures. Il semble donc que ces dernières ne soient pas seules en cause.

L’équipe de recherche s’est donc demandé si des facteurs propres aux espèces ou à leur milieu pouvaient expliquer ces déplacements ou cette sédentarité inattendus.

« Si les chercheurs arrivent à comprendre ces déplacements contraires aux mouvements attendus, ils pourront créer des modèles qui permettront de prédire dans quelles circonstances le réchauffement est susceptible, ou non, de modifier les limites des aires de répartition, explique Jake Lawlor. En nous fondant, par exemple, sur la nature du cycle de vie d’une espèce, la sensibilité de cette dernière au réchauffement ou les caractéristiques du paysage, peut-être serons-nous en mesure d’évaluer la probabilité qu’elle se déplace, voire de prévoir les routes qu’elle pourrait emprunter. »

Des données lacunaires

L’équipe de recherche y va toutefois d’une mise en garde : les données existantes sur les changements des aires de répartition portent surtout sur l’Europe et l’Amérique du Nord, sont plus ou moins complètes selon les groupes végétaux et animaux, et sont à peu près inexistantes en ce qui concerne les espèces marines. Il faut donc, estime-t-elle, les interpréter avec précaution. À titre d’exemple, les redistributions observées dans les régions où il y a quatre saisons, comme en Europe et en Amérique du Nord, ne s’appliquent pas forcément dans des régions où alternent saison des pluies et saison sèche; par ailleurs, on pourrait s’attendre à ce que les espèces réagissent différemment suivant leur capacité de dispersion (soit la capacité de s’établir dans un nouveau territoire) et leur taux de croissance.

« Autrement dit, les taux moyens et les directions générales des déplacements que nous calculons à partir d’observations faites chez les oiseaux et les insectes ne s’appliquent pas nécessairement au varech, aux cultures ou aux poissons. Et vu les changements climatiques, ces données seraient, dans bien des cas, insuffisantes pour l’élaboration de plans de conservation », souligne Jennifer Sunday, auteure en chef de l’article et professeure adjointe au Département de biologie de l’Université McGill.

Selon l’équipe de recherche, il faut suivre de plus près les changements des aires de répartition pour mieux comprendre les facteurs en jeu et pouvoir en tenir compte dans les stratégies de préservation de la biodiversité à l’heure des changements climatiques.

 


 

L'article

Mechanisms, detection and impacts of species redistributions under climate change” by Jake Lawlor et al in Nature Reviews Earth & Environment
DOI: https://doi.org/10.1038/s43017-024-00527-z

Back to top