Les petites particules qui font rêver grand, des villes forestières du Québec au monde entier 

Nathan Hordy et Tim Morse, diplômés mcgillois et co-fondateurs d’Anomera.

L’équipe de recherche dirigée par le professeur Mark Andrews ne se doutait sûrement pas que les travaux qu’elle menait sur des nanocristaux de cellulose, dans un laboratoire de l’Université McGill, créeraient un jour des débouchés économiques en Abitibi-Témiscamingue, dans le nord-ouest du Québec. 

L’équipe avait pour objectif d’employer des nanocristaux de cellulose pour produire des couleurs vives et chatoyantes, mais l’expérience s’est plutôt soldée par la création d’Anomera, en 2016. Aujourd’hui, cette entreprise offre une gamme de produits à base de nanocristaux de cellulose (créés à partir de pâte et de résidus de bois) qui ont une multitude d’applications écoresponsables : ils peuvent notamment remplacer les microplastiques dans les cosmétiques et réduire l’empreinte carbone des matériaux comme le béton. 

Un nouvel élan pour les villes forestières 

Anomera a ouvert une usine de production au coût de 30 millions de dollars à Témiscaming, au Québec.

Il y a deux ans, Anomera a ouvert une usine de production au coût de 30 millions de dollars à Témiscaming, petite ville de 2 400 âmes située à 570 kilomètres au nord-ouest de Montréal. À l’heure actuelle, l’entreprise emploie neuf personnes dans la région et quinze autres dans ses bureaux et laboratoires, au centre-ville de Montréal. Mais surtout, Anomera offre un potentiel de diversification de l’exploitation forestière au Québec qui passe par l’innovation et le développement durable. 

« Je n’ai jamais eu l’intention de démarrer une entreprise; ça s’est fait tout seul », raconte Tim Morse. Pendant ses études de doctorat à l’Université McGill, il a eu l’idée de synthétiser des nanoparticules à l’aide de peroxyde d’hydrogène dilué, une méthode bien plus écoresponsable que celle qu’on utilisait auparavant. Aujourd’hui, le chercheur d’origine néo-brunswickoise occupe le poste de directeur principal, Recherche et innovation, d’Anomera. 

Le profil des fondateurs de la compagnie témoigne avec éloquence de la capacité de l’Université McGill à attirer les plus grands talents au Québec : Nathan Hordy, Ph. D., chef de l’exploitation et membre de l’équipe de recherche initiale, a quitté l’Ontario pour venir à McGill, et Monika Rak, Ph. D. – qui ne travaille plus pour Anomera, mais est demeurée à Montréal – est venue du Manitoba pour étudier à l’Université. 

Originaire de la Nouvelle-Écosse, le professeur Mark Andrews a fait ses études en Ontario, puis a collaboré avec Arno Penzias, lauréat d’un prix Nobel, dans les célèbres laboratoires Bell, au New Jersey. Actionnaire de l’entreprise, Mark Andrews ne siège plus au conseil d’administration, mais a conservé son rôle de conseiller. 

Production durable à Témiscaming 

La jeune pousse a déjà recueilli au-delà de 50 millions de dollars en fonds octroyés par des organismes tant publics que privés. Le géant français des cosmétiques Chanel a financé la recherche préliminaire et a fortement soutenu Anomera au fil des ans. 

Benoit Garant, nouveau PDG de la compagnie, s’emploie à stimuler la croissance de la jeune entreprise et compte en faire une pionnière des nouvelles matières cellulosiques durables. 

Benoit Garant, président et chef de la direction d’Anomera.

« Nous sommes 100 % durables. Il y a de graves problèmes environnementaux dans le monde en raison des émissions de CO2 et des plastiques. Or, c’est précisément à ce chapitre que nous nous démarquons : notre produit est durable, et notre processus de fabrication l’est tout autant. Nous sommes une société à très faibles émissions de CO2 », explique le PDG. 

Il souligne que ce profil correspond aux orientations du gouvernement québécois, qui entend promouvoir le développement économique durable. En 2006, le Québec était parmi les premiers territoires à adopter des lois en matière de développement durable. Investissement Québec a fourni une part importante de financement à Anomera, comme l’ont fait le gouvernement fédéral ainsi que des investisseurs privés, dont le géant des produits de la forêt RYAM. Ce dernier, dont l’usine de pâte à papier de haute pureté de Témiscaming fournit l’usine voisine d’Anomera en matière première, est désormais un actionnaire important de la jeune pousse. 

Benoit Garant concède qu’il faudra attendre encore quelques années avant que des profits soient générés. L’usine de Témiscaming est entrée en activité seulement en 2022, et les ventes demeurent modestes. Il précise que Croda, important distributeur mondial d’ingrédients de spécialité et société détentrice des droits de distribution mondiale des produits d’Anomera destinés aux cosmétiques, a fait parvenir des échantillons à environ 800 compagnies. Le PDG ajoute que les scientifiques de ces sociétés sont maintenant à évaluer l’utilité des produits d’Anomera dans la fabrication de leurs cosmétiques. 

Diversification du secteur forestier québécois 

Dans l’immédiat, l’entreprise concentre ses efforts sur la commercialisation de ses produits dans d’autres secteurs et sur la réduction de ses coûts de production par l’adoption de méthodes plus efficientes. 

Anomera collabore également avec la Faculté de génie de l’Université de Sherbrooke en vue de mettre au point de nouvelles applications pour la fabrication du béton. Grâce notamment à une subvention importante du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, elle a récemment lancé un programme de trois ans, doté d’un budget de 740 000 $, afin de poursuivre ces efforts. Les essais préliminaires indiquent que l’ajout de nanoparticules de cellulose pourrait réduire de 10 pour cent la quantité de ciment requise pour la fabrication de béton, révèle Benoit Garant. Le ciment est un fort émetteur de dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre. 

Pierre Gingras, maire de Témiscaming, se réjouit de la présence d’Anomera, notamment parce qu’elle donne une raison de plus à RYAM de maintenir sa production dans cette ville mono-industrielle. La devise de Témiscaming, « Vive la forêt », témoigne de l’importance primordiale du secteur forestier pour la ville, auquel elle doit d’ailleurs sa fondation. « Sans la forêt, il n’y aurait pas eu d’usine de pâtes et papiers », fait remarquer le maire. 

Anomera génère maintenant de nouvelles possibilités pour le secteur forestier et contribue à propulser vers l’avenir ce domaine d’activité qui a toujours occupé une place importante au Québec. 

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