Appel de propositions – Colloque de l’ADELFIES 2024
Mettre en scène : la littérature et ses représentations
Construction de la figure auctoriale, mise en scène du personnage, matérialité du texte : la littérature peut se définir comme une vaste mise en scène. Dans le cadre du 16e colloque estudiantin annuel de l’Association des étudiant·e·s en langue et littérature françaises inscrit·e·s aux études supérieures de l’Université McGill (ADELFIES), nous vous invitons à réfléchir à la littérature comme une art de la représentation — de soi ou d’autrui, de la réalité ou de mondes fictifs, d’un manuscrit décoré d’enluminures à la réception médiatique d’une œuvre contemporaine.
Un·e auteur·rice est conscient·e du monde qui l’entoure et cherche à s’y mouvoir à l’intérieur d’un champ bien défini. Selon son positionnement, l’ethos comme stratégie auctoriale peut prendre plusieurs visages qui sont liés à l’exercice du discours ainsi qu’à une idéologie et à une incorporation, soit une manière d’habiter son corps, de s’habiller, de s’exprimer en public, de se mouvoir… Ce qui fait écho aux questions soulevées par Pierre Bourdieu (1991) sur le champ littéraire et sur les rôles des acteur·rice·s de production culturelle de l’industrie du livre.
En tant que révolution médiatique sonore du 20e siècle, la radio introduit le monde littéraire dans la sphère publique, et du même coup celui de l’auteur·rice. Il demeure que la mise en scène de l’auteur·rice passe nécessairement par sa voix : celle-ci est une première nécessité, car si l’auteur·ice devient à travers son écrit, c’est grâce à ce dernier qu’il ou elle survit. Comment se manifeste cette voix dans l’écrit? Sous quels phénomènes? Avec l’enregistrement et le verbatim, la voix peut devenir matérielle. Avec sa mise en scène, elle peut devenir corps (Martin, 1998). Si elle semble être ce qui est perdu dans l’écrit, comment réussit-elle tout de même à animer la foule ?
S’ajoute la question de l’oralité dans le texte, une poétique pensée par Zumthor (1983) et Meschonnic (1982). Tel un mouvement qui passe par le corps, le rythme constitue un moteur mis en scène dans et par le texte. Ce que le texte fait, ce qui fait vibrer et trembler, c’est là tout l’art de la représentation et de la performance tant poétique que théâtrale. L’auteur·ice devient alors le représentant psychique d’une énergie pulsionnelle qu’il met en scène par le continu de l’écrit (Goux, 1999). Cette énergie en vient à devenir l’auteur·rice dans le monde. Après « la mort de l’auteur » de Barthes et la « fonctionauteur » de Foucault, en passant par les nouvelles possibilités abordées par Couturier (1995) sur la constitution de la figure de l’auteur·rice, cette figure peut devenir le sujet d’une étude ontologique.
L’intervention de l’auteur·rice dans le texte, que permettent notamment la figure de la « métalepse » (Genette, 1972) ou encore le péritexte d’une œuvre, constitue aussi l’occasion de penser la littérature. Les romancier·ière·s du Moyen Âge tardif emploient, dans leurs prologues, la typologie des genres existants afin de se détacher du roman tandis que Milan Kundera par exemple, à travers les réflexions de ses personnages ou les digressions de son narrateur, affirme son appartenance à l’art romanesque comme espace de pensée. La mise en scène de personnages-écrivains témoigne d’une porosité entre la voix de l’auteur·rice et celle des protagonistes qui nourrit le pouvoir autoréflexif de la littérature.
Le regard que portent les personnages sur eux-mêmes — et sur le monde qui les entoure — participe à la représentation d’un décalage entre leurs idéaux et la société ou encore entre leur rapport à soi et la réalité. Le développement du roman historique et réaliste au XIXe siècle coïncide avec celui d’un rapport problématique au theatrum mundi chez les protagonistes, qui critiquent la performance sociale tout en se voyant contraints d’y participer. S’observe aussi chez le personnage romanesque une tension entre sa connaissance de lui-même et ses agissements. Confronté à l’écart entre la manière dont il se représente et le regard d’autrui, il se met en scène afin d’interroger son identité. Dans Madame Bovary, par exemple, Emma se pare « telle une actrice » pour le bal de la Vaubyessard, ou encore au début de
Belle du Seigneur d’Albert Cohen, Solal déclare son amour à Ariane déguisé en vieillard juif. À la lumière du renversement carnavalesque analysé par Mikhaïl Bakhtine (1970), le jeu de représentation auquel participent les protagonistes peut prendre des proportions spectaculaires, conviant le lectorat à une véritable fête littéraire. C’est à celle-ci que nous vous invitons à prendre part en répondant à cet appel de propositions.
Les étudiant·e·s d’études littéraires, de traduction, de création et d’autres disciplines dont les recherches s’inscrivent dans le thème du colloque peuvent soumettre un descriptif de communication d’un maximum de 250 mots ainsi qu’une brève notice biographique à l’adresse colloque.adelfies [at] gmail.com avant le 12 janvier 2024. Les communications, d’une durée de 20 minutes, seront suivies d’une période de questions. L’événement se tiendra sur le campus de l’Université McGill en présentiel le 15 mars 2024.
Veuillez noter que comme il s’agit d’un colloque étudiant, nous n’avons pas de fonds disponibles pour vous aider à financer vos déplacements ou votre hébergement. Nous vous invitons à vous informer auprès de votre établissement concernant les possibilités de financement.
Dans le but de rendre cet événement aussi accessible que possible, nous vous invitons à communiquer avec le comité organisateur si vous avez des questions concernant l’accessibilité au colloque ou si vous avez besoin d’accommodements.
Bibliographie
Amossy, Ruth. La Présentation de soi. Ethos et identité verbale, Paris, Presses universitaires de France, coll.
« L’interrogation philosophique », 2010.
Bakhtine, Mikhaïl. Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978.
Bakhtine, Mikhaïl. L’œuvre de François Rabelais et la culture au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1970.
Barthes, Roland, « La mort de l’auteur. » Manteia 5, 1968, p. 12-17.
Bouchet, Florence, « Du prologue médiéval au discours préfaciel de la Renaissance : Éléments de continuité et de rupture entre manuscrits et premiers imprimés », Poétique, vol. CLXXXVI, no 2, 2019, p. 195-214.
Bourdieu, Pierre. « Le champ littéraire ». Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 89, septembre 1991. Le champ littéraire. p. 3-46.
Couturier, Maurice, La Figure de l’auteur, Seuil, 1995.
Maingueneau, Dominique. « L’ethos discursif : effacement, convergence, stylisation », dans AnaMaria Cozma, Abdelhadi Bellachhab et Marion Pescheux (dir.), Du sens à la signification – De la signification aux sens. Mélanges offerts à Olga Galatanu, Bruxelles, Peter Lang, 2014, p. 171-185.
Foucault, Michel. « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Bulletin de la Société française de philosophie, 63e année, no 3, juillet-septembre 1969, p. 73-104.
Genette, Gérard, Figures III, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1972.
Genette, Gérard, Seuils, Paris, Seuil, coll. « Points », 1987.
Goux, Jean-Paul. La fabrique du continu : essai sur la prose. Champ Vallon Editions, 1999.
Gumbrecht, Hans Ulrich, « L’auteur comme masque. La contribution à l’archéologie de l’imprimé » dans Marie-Louise Ollier (éd.), Masques et déguisements dans la littérature médiévale, Montréal, Les presses de l’Université de Montréal, 1988, p. 185-192.
Leclerc, Gérard, Le Sceau de l’œuvre, Seuil, 1998.
Martin, Jean-Pierre. La bande sonore, José Corti, 1998.
Meschonnic, Henri. Critique du rythme. Anthropologie historique du langage. Paris : Ed. Verdier, 1982.
Zumthor, Paul. Introduction à la poésie orale. Vol. 70. U of Minnesota Press, 1990.