Photo d'Oscar WildeOscar Wilde

(1854-1900)

Dossier

Le roman selon Oscar Wilde

"I wish I could write a novel but I can't" : La vision du roman d'Oscar Wilde, par Madeleine Têtu, mars 2022

La tradition critique anglaise montre que l’évolution du roman en Angleterre au XIXe siècle a été grandement influencée par le romantisme et par l’ère victorienne, qui débute au tournant des années 1830. La littérature écrite sous le règne de Victoria (1837-1901) est souvent perçue comme le reflet du puritanisme marquant cette époque. Ce conservatisme social s’observe dans le développement du roman (nouveau genre dominant en Angleterre depuis la deuxième moitié du XVIIIe siècle) qui devient le lieu d’une représentation moralisée de l’existence notamment grâce au développement du populaire « marriage plot » — qui construit le dénouement d’une héroïne autour de la félicité trouvée dans le mariage[1].

Si la littérature des deux derniers tiers du XIXe siècle ne peut évidemment se résumer à ce constat, celui-ci se retrouve dans la réception de cette littérature par certains romanciers de la même époque ou bien par les modernistes anglais du XXe siècle. Une des remises en question les plus violentes de la littérature anglaise du XIXe siècle est celle formulée par l’esthète Oscar Wilde dans les années 1880-1890 : à travers ses essais, ses œuvres littéraires et sa correspondance se construit la critique d’une stagnation des possibilités formelles à l’ère victorienne. Bien qu’il estime certains romanciers anglais (par exemple Elizabeth Barrett Browning et Georges Meredith), Wilde adopte une posture de mépris par rapport à la vision de la littérature du milieu artistique anglais, et s’avère un plus grand lecteur de la littérature française et russe du XIXe siècle. Grand lecteur et critique de romans, Wilde montre aussi certaines réserves en ce qui a trait aux potentiels du genre romanesque, ce qui l’incite à pratiquer davantage les genres de la poésie et de l’essai. Dans l’analyse qui suit, nous tenterons de comprendre ce que Wilde reproche plus précisément à la littérature anglaise afin de mieux cerner son rapport trouble à l’art romanesque. Afin d’approfondir ses théories esthétiques, nous commencerons par décrire (et surtout nuancer) l’opposition qu’il dresse entre art et moralité, puis nous analyserons l’admiration qu’il voue à Flaubert dans le but de montrer l’importance qu’il accorde au développement du style et à l’exploration de l’individualité de l’écrivain. Nous finirons notre analyse en examinant son éloge du projet littéraire balzacien et sa violente critique du naturalisme zolien afin de saisir sa conception de la littérature comme d’une idéalisation (et non d’un reflet) de la réalité. Wilde se considérant plutôt comme un poète et un essayiste que comme un romancier, ses réflexions sur la littérature ne portent pas uniquement sur le roman. Nous tenterons néanmoins en retirer une définition du roman en creux, une définition qui se centre autour de certaines des limites que Wilde attribue au genre romanesque.

Wilde, un défenseur de la théorie esthétique de « l’art pour l’art » :

Selon Wilde, l’art est amoral puisqu’il évolue en parallèle de la sphère morale. Il affirme même dans son essai The Critic as Artist que la distinction entre art et moralité est au fondement du travail du critique littéraire :

The first condition of criticism is that the critic should be able to recognise that the sphere of Art and the sphere of Ethics are absolutely distinct and separate. [...] They are too often confused in England now, and though our modern Puritans cannot destroy a beautiful thing, yet, by means of their extraordinary prurience, they can almost taint beauty for a moment[2].

Cela signifie que l’art ne peut pas être jugé à l’aune de valeurs morales et doit plutôt être analysé à la lumière de critères esthétiques ou stylistiques. C’est ce que formule l’auteur du Portrait dans la préface de son unique roman à travers une succession de courtes phrases laissant peu de place au doute : « There is no such thing as a moral or an immoral book. / Books are well written, or badly written. That is all[3]. » Il n’y a donc ni de réelle opposition ni de véritable conciliation possible entre art et moralité puisqu’il n’existe pas de comparatifs entre ces deux aspects de l’existence humaine. Ainsi la valeur d’une œuvre d’art ne peut-elle pas être déterminée à l’aide du critère de l’utilité, et ce, malgré la nouvelle importance que celui-ci prend dans les codes moraux du XIXe siècle sous l’influence du développement de la science moderne et de l’industrialisation. C’est du moins ce que défend l’auteur du Portrait dans la préface de son roman, qu’il conclut sur cette maxime : « All Art is quite useless[4]. » Wilde explique cette conception de l’art à plusieurs reprises dans sa correspondance à l’aide de la métaphore d’une fleur qui n’existe que pour sa beauté :

Art is useless because its aim is simply to create a mood, not to instruct or to influence action in any way [...] A work of art is useless as a flower is useless, a flower blossoms for its own joy ; we gain a moment of joy by looking at it, that is all that is to be said about our relations to flowers. Of course man may sell the flower, and so make it useful to him, but this has nothing to do with the flower. It is not part of its essence. It is accidental. It is a misuse[5].

Contrairement à ce que présuppose une vision moralisatrice de l’art, celui-ci est inutile puisqu’il ne possède pas de véritable influence sur les actions que les individus posent dans le monde réel.

Selon la théorie esthétique de Wilde, l’art n’est pas seulement amoral, il est aussi immoral, car il utilise la représentation du vice ou de la corruption morale comme outil d’une part pour s’interroger sur l’existence humaine et d’autre part pour divertir son public. Toutes les facettes de la réalité sont en quelque sorte la matière première à partir de laquelle un artiste crée, et ce, par-delà les considérations d’ordre moral qui nous permettent de les hiérarchiser dans le monde concret. À la suite de la condamnation sur la scène publique du Portrait en tant que roman immoral, Wilde défend sa pratique de l’art romanesque auprès de ses critiques grâce à cet argument : « Virtue and wickedness are to him [the artist] simply what the colours on his palette are to the painter. They are no more, and they are no less[6]. » Dans cette optique, la littérature peut mettre en scène des personnages vicieux, des actions à la portée morale douteuse, ou même des crimes à des fins narratives, philosophiques ou esthétiques. Une œuvre littéraire ne cherche pas à représenter une réalité idéalisée où les protagonistes sont châtiés pour leurs fautes morales ou récompensées pour leurs vertus : Lord Henry n’est pas puni ou encore moins tourmenté après avoir corrompu le jeune Dorian dans le Portrait, et la pièce The Importance of Being Earnest se termine sur le mariage heureux des deux principaux protagonistes, qui brillent plus par leur frivolité que par leur honnêteté. Dans l’optique où la littérature doit dépeindre toutes les facettes de l’existence, elle doit s’intéresser autant aux parties lumineuses qu’aux recoins plus sombres de notre humanité. C’est ce que suggère cette remarque se retrouvant dans les réflexions critiques de Wilde : « On tue une littérature quand on lui interdit la vérité humaine. It may be questioned, also, whether the consistent reward of virtue and punishment of vice be really the healthiest ideal for an art that claims to mirror nature[7]. » L’écrivain cherchant à offrir à son auditoire un reflet de la réalité, il ne peut donc pas ignorer une partie des observations du monde réel à partir desquelles il crée — des observations qui résistent à une lecture manichéenne du monde.

Ainsi la conservation des conventions morales d’une époque s’accommode-t-elle difficilement des différents points de vue sur la condition humaine que recèle une œuvre d’art. Wilde croit pourtant que la richesse du travail artistique tient aux ambiguïtés qui demeurent entre les différentes interprétations possibles d’une création artistique. Celles-ci sont presque infinies aux dires de l’auteur de l’essai The Critic as Artist, qui affirme ceci au sujet du véritable critique :

You see, then, how it is that the æsthetic critic rejects these obvious modes of art that have but one message to deliver, and having delivered it become dumb and sterile, and seeks rather for such modes as suggest reverie and mood, and by their imaginative beauty make all interpretation true, and no interpretation final[8].

La beauté artistique étant nécessairement perçue à l’aune d’une expérience subjective (nous y reviendrons), elle donne lieu à autant d’interprétations qu’il existe de lecteurs. De plus, la juxtaposition de différents points de vue au sein d’un roman incite un même lecteur à garder en tête une pluralité d’impressions de lecture plus ou moins conciliables. Par sa capacité à intégrer une multitude d’expériences humaines à sa création, l’artiste mène le lecteur à remettre en question la validité de certains préceptes moraux, voire à se buter à une part de mystère ou d’insaisissable se trouvant au cœur de son existence. En ce sens, la tentative de dresser un portrait nuancé et complexe à l’origine de tout travail artistique peut être perçue comme immorale du fait qu’elle s’oppose aux systèmes moraux préétablis.

Soulignons néanmoins une des distinctions présentes entre les positions tranchées que Wilde revendique à travers ses maximes et certaines réflexions présentes dans ses essais. Ainsi pourrions-nous par moments constater au sujet de Wilde ce que Basil remarque au sujet de Lord Henry dans le Portrait : « You never say a moral thing, and you never do a wrong thing. Your cynicism is simply a pose[9]. » Selon la conception de l’esthétisme théorisée par Wilde, une œuvre d’art ne peut pas être le reflet des conventions morales d’une époque, mais cela ne veut pas pour autant dire qu’aucun sentiment moral (au sens de bonté ou de vertu) ne peut se dégager de la beauté artistique. Selon Wilde, c’est ce que font notamment les romans de Tolstoï en suscitant une vive compassion chez le lecteur, qui porte un jugement moins sévère sur les actions des personnages lorsqu’il est placé devant les tourments qu’ils subissent à cause de leurs fautes morales. Dans son essai The House Beautiful, Wilde affirme même qu’il faut initier les enfants à la bonté à travers l’expérience de la beauté, notamment de la beauté du décor de la maison où ils sont élevés. Il constate dans ce même essai que le développement d’une sensibilité esthétique est d’autant plus important dans une société tournée vers l’efficacité et l’utilité : « Today more than ever the artist and love of beautiful are needed to temper and counteract the sordid materialism of the age[10]. » Si Wilde soutient que l’art ne devrait pas chercher à enfermer la pensée de son lecteur dans une conception morale figée, il montre que l’art peut rendre un individu meilleur en le rendant sensible à l’expérience de la compassion et de la bonté. Toutefois, cette réconciliation de l’art et de la moralité ne coïncide pas entièrement avec ce que revendique Wilde dans ses essais puisqu’il montre aussi l’immoralité comme le vecteur d’un plaisir artistique.

Selon Wilde, la littérature se nourrit aussi d’expériences humaines plus sombres pour des raisons de l’ordre du divertissement : elle met aussi en scène des personnages ayant un rapport trouble à la vertu afin de capter l’attention de son lecteur. Lors du scandale engendré par la publication du Portrait, Wilde se défend d’avoir construit son intrigue autour de la corruption morale de ses personnages en affirmant :

Romantic art deals with the exception and with the individual. Good people, belonging as they do to the normal, and so, commonplace, type, are artistically uninteresting. Bad people, are, from the point of view of art, fascinating studies. They represent colour, variety and strangeness. Good people exasperate one’s reason; bad people stir one’s imagination[11].

La trajectoire d’un personnage tenté par le mal a le potentiel de divertir, de séduire ou même de fasciner le lecteur. Ces personnages nourrissent davantage son imagination en le forçant à rompre avec une expérience de l’ordre de l’habitude ou de la coutume afin de le plonger dans un univers inconnu. Et peut-être que cette facette de l’immoralité artistique n’est-elle pas fondamentalement incohérente avec l’idée d’une sensibilité morale développée par l’art. Dans l’optique où, comme le constate Wilde, une œuvre littéraire invite à une pluralité d’interprétation, elle peut à la fois susciter la compassion du lecteur et le faire rire grâce au cynisme de Lord Henry — sans que cela implique que le lecteur imite la conduite de ce personnage dans le monde réel.

Wilde perçoit le puritanisme de son époque comme un obstacle au plaisir ou à la joie qui accompagne l’appréciation d’une œuvre d’art, ce qui constitue pourtant l’un des principaux buts de celle-ci. Si nous avons vu que Wilde attribue de multiples objectifs à l’activité artistique, l’auteur du Portrait insiste particulièrement sur ce dernier objectif lorsqu’il dit : « The aim of all art is simply to make life more joyous[12] ». La tentative de réflexion sur le monde réel qu’incarne la littérature ainsi que l’expérience plaisante qu’elle propose sont en fait interreliées : ce sont souvent des ressorts comiques qui multiplient les interprétations possibles d’une œuvre, suscitant ainsi des réflexions chez le lecteur. Les outils formels employés par Wilde qui divertissent son lecteur — pensons à son ironie mordante, son ton provocateur, son recours fréquent au dialogue et aux paradoxes — sont aussi ceux qui invitent à une lecture rigoureuse de son œuvre. Dans cette optique, la conception de l’art de Wilde se fonde sur ce paradoxe : « Art is the only serious thing in the world. And the artist is the only person who is never serious[13]. » La vision de l’art en tant que mode de connaissance passant par le divertissement ne peut donc pas être réconciliée aux considérations éthiques de nombreux romanciers contemporains de Wilde.

Le traitement de la moralité dans les écrits de Wilde comme nuance de sa théorie esthétique :

Wilde réussit-il véritablement à mettre en œuvre cette atmosphère comique renfermant des réflexions sérieuses dans ses écrits littéraires ? Nous pouvons remarquer une distance entre ses théories esthétiques et son traitement de la moralité dans certaines de ses pièces de théâtre et son roman. Un exemple notable est sa pièce de théâtre A Woman of No Importance, qui raconte le conflit intérieur de Mrs. Arbuthnot lorsqu’elle revoit le père de son fils. Celui-ci lui propose de ne pas dévoiler sa véritable identité à son fils (qui ne sait pas qu’il est issu d’une liaison illégitime) mais de l’engager comme secrétaire afin de lui permettre d’accomplir ses ambitions professionnelles. Plutôt que de dénoncer l’immoralité de la conduite de Mrs. Abuthnot — dont la liaison avec Lord Illingworth représente une faute impardonnable aux yeux de la société anglaise du XIXe siècle — la pièce met en scène les malheurs de cette femme et les montrent comme disproportionnés par rapport à sa faute. La situation désespérée de Mrs. Abuthnot et l’absence de remords chez Lord Illingworth (qui avait pourtant promis à Mrs. Abuthnot de la marier avant de disparaître) incitent l’auditoire à prendre le parti de la femme trompée. L’intrigue de cette pièce cherchant à susciter un élan de compassion chez l’auditoire, sa visée morale semble assez claire : remettre en question la condamnation des femmes ayant eu des relations amoureuses à l’extérieur de l’institution matrimoniale par la société victorienne. Dans cette optique, nous pouvons voir cette pièce (tout comme d’autres pièces du corpus de Wilde) comme une tentative de faire dans le théâtre ce qu’un romancier comme Tolstoï fait dans le roman. Cependant, cette critique de la société anglaise s’effectue ici au détriment du développement de la complexité psychologique des personnages ou de la mise en scène de péripéties divertissantes. Elle laisse peu de place aux nuances ou aux ambiguïtés empêchant une œuvre littéraire d’être enfermée dans une seule interprétation.

Aussi l’analyse de cette pièce met-elle en lumière une distance entre les réflexions théoriques de Wilde et sa pratique de l’écriture, ou plus précisément la difficulté qu’il éprouve à intégrer un propos moral à ses créations narratives. En effet, la conception de l’art littéraire proposée dans la préface du Portrait ne colle pas exactement avec la littérature telle qu’elle est pratiquée dans ce roman. C’est une difficulté que Wilde constate lui-même lors de la publication du Portrait : « I cannot understand how they can treat Dorian Gray as immoral. My difficulty was to keep the inherent moral subordinate to the artistic and the dramatic effect, and it still seems to me that the moral is too obvious[14]. » Aux yeux de Wilde, son roman illustre en effet les conséquences désastreuses de la démesure humaine. En effet, Dorian commet le meurtre de Basil (qui est ainsi puni pour la fascination artistique qu’il éprouvait pour Dorian) et finit par se suicider, payant ainsi le prix pour la décadence morale où l’ont mené sa jeunesse et sa beauté. Remarquons que cette morale est donnée au lecteur dès le premier chapitre du Portrait à travers les inquiétudes que Basil partage à Lord Henry. Wilde affirme que la mise en place de ce système moral représente une erreur artistique. En ce sens, la théorie esthétique mais aussi la démarche d’écriture de Wilde révèlent une tension entre ce que le romancier nomme « Poetry and Paradox » (ou ce que nous pourrions renommer goût esthétique et réflexions porteuses d’ambiguïtés) et la représentation d’un système (ou simplement d’une idée) éthique. Le traitement de la moralité chez Wilde suggère que, du moment qu’un auteur cherche consciemment à éduquer son lecteur, il lui est difficile de ne pas construire la narration de son récit autour de certaines valeurs qui résistent à l’interprétation ouverte que devrait être celle d’un roman.

L’exemple de Flaubert : la littérature comme lieu d’une recherche stylistique.

La richesse de l’exploration stylistique est aux yeux de Wilde le critère le plus important pour juger de la valeur d’une œuvre d’art. Dans cette optique, il n’est pas si étonnant que cet esthète se soit davantage intéressé au genre de la poésie, qui se centre autour d’une recherche esthétique, qu’au roman — où la multiplication des intrigues et l’approfondissement de la psychologie des personnages peuvent se faire au détriment de l’harmonie littéraire d’une œuvre. Wilde est d’ailleurs en premier lieu un poète. Comme le constate la critique Florina Tufescu, le parcours littéraire de Wilde est encadré par son activité comme poète : il entre dans le monde littéraire grâce à la publication d’un recueil de poèmes en 1881, et tente sans succès de réhabiliter sa crédibilité à la suite de son emprisonnement en publiant The Ballad of Reading Gaol en 1898, peu de temps avant sa mort[15]. Wilde admire d’une part la recherche stylistique minutieuse des poètes du XIXe siècle (« master [s] of colour and form ») et affirme dans son essai The English Renaissance of Art :

In Rossetti’s poetry and the poetry of Morris, Swinburne and Tennyson a perfect precision and choice of language, a style flawless and fearless, a seeking for all sweet and precious melodies and a sustaining consciousness of the musical value of each word are opposed to that value which is merely intellectual[16].

En d’autres termes, Wilde préfère la musicalité des jeux stylistiques de la poésie aux systèmes de l’érudition, l’univers de rêve et d’imagination que crée le poète à celui de la raison, la quête du voyant à celle du savant. La conception de la poésie de Wilde s’inscrit donc dans la lignée de celle des poètes romantiques français — qui érigent le poète en mage ayant accès aux secrets de la nature et de l’art — et concorde dans une certaine mesure avec celle de la société victorienne, où la poésie demeure un genre très pratiqué malgré la montée en popularité du roman[17].

Si Wilde présente le poète comme un contemplateur de la beauté, il ne nie pas le potentiel esthétique du roman et du théâtre, car il affirme qu’une œuvre littéraire peut avoir un caractère poétique même si elle ne prend pas la forme d’un poème. Aussi écrit-il à Mallarmé : « la prose française et la poésie dans les mains d’un maître tel que vous deviennent une et la même chose[18] » et qualifie-t-il certains passages du roman Crime et châtiment de « beaux poèmes en prose[19] ». Non seulement Wilde souligne l’influence de la poésie sur les autres genres dans le travail de ses contemporains, mais il mène lui-même une recherche stylistique à travers ses textes narratifs. C’est ce que la critique Florence Tufescu remarque au sujet de la pièce Salomé, qui recèle une exploration approfondie des symboles littéraires. Ceux-ci sont d’ailleurs omniprésents dans le Portrait, qui offre par moments au lecteur une expérience presque sensorielle comme en témoigne la description sur laquelle s’ouvre le roman :

The studio was filled with the rich odour of roses, and when the light summer wind stirred amidst the trees of the garden, there came through the open door and the heavy scent of the lilac, or the more delicate perfume of the pink-flowering thorn[20].

Quoique la vision de la littérature de Wilde valorise davantage le poétique que le romanesque, elle nuance cette position en montrant qu’un roman peut être plus poétique qu’un poème.

Il semble néanmoins cohérent que les poètes romantiques et symbolistes (notamment Wordsworth, Baudelaire et surtout Mallarmé) soient en tête de file des modèles littéraires de Wilde. Le poète qui incarne l’artiste le plus pure aux yeux de Wilde est le poète Keats, qui, grâce à sa grande sensibilité artistique, ouvre à son lecteur la porte du royaume de l’imagination. S’il est étonnant que Wilde attribue ce titre à un poète anglais, il est d’autant plus surprenant qu’il donne le même titre au romancier Flaubert. « The sinless master whom mortals call Flaubert[21] » incarne le maître artistique de Wilde, qui a travaillé sur une traduction de la Tentation de Saint-Antoine. Dans sa correspondance, Wilde montre la possibilité d’égaler ou peut-être même de surpasser Flaubert comme l’accomplissement suprême auquel il aspire : « Yes! Flaubert is my master, and when I get on with my translation of the Tentation I shall be Flaubert II, Roi par grâce de Dieu, and I hope something else beyond[22]. » Il est intéressant de noter que Wilde réfère à Flaubert à de nombreuses reprises en tant qu’« artiste » plutôt qu’en tant que génie (titre qu’il attribue plutôt à Balzac) ou surtout de romancier. L’absence de ce terme dans ses multiples éloges de deux des romanciers français les plus marquants du XIXe siècle atteste d’une certaine distance que Wilde choisit de conserver par rapport au genre romanesque. L’emploi du terme plus général d’artiste met aussi l’accent sur la recherche stylistique de Flaubert, et sous-entend que la sensibilité esthétique de ce romancier dépasse l’art romanesque voire le champ de la littérature. Autrement dit, la pratique du roman de l’auteur de Madame Bovary témoigne, aux yeux de Wilde, d’une sensibilité à la beauté qui peut aussi se retrouver dans la musique, les arts visuels et même les arts décoratifs.

Ainsi Wilde croit-il peut-être surpasser Flaubert en faisant de l’esthétisme autant une vision du monde qu’un mode de vie : ce que Wilde nomme son tempérament artistique passe à la fois par sa démarche d’écriture et par sa coquetterie vestimentaire ou encore son goût pour la décoration intérieure. En témoigne notamment la valeur artistique qu’il attribue aux meubles qu’il acquiert à la suite de son mariage : « Each chair is a sonnet in ivory, and the table is a masterpiece in pearl[23]. » Par conséquent, l’admiration que Wilde montre à l’égard de Flaubert illustre la recherche stylistique qu’il place au cœur de toute entreprise littéraire — et qui, comme nous le verrons plus loin, l’incite à se détourner de l’art romanesque.

Aux yeux de Wilde, Flaubert incarne donc l’artiste par excellence puisqu’il explore son individualité à travers la création d’un style qui lui est propre, une réussite qu’il considère comme le sommet de l’expérience artistique. Dans son essai The Soul of Man Under Socialism (où il se positionne en faveur du perfectionnement de l’individu qui serait possible grâce à la mécanisation des emplois aliénants) Wilde affirme que ce « supreme artist » « has been able to isolate himself, to keep himself out of the reach of the clamorous claims of others [...] to realise the perfection of what was in him, to his incomparable gain, and to the incomparable and lasting gain of the whole world[24]. » Selon Wilde, l’artiste est celui qui réussit à se libérer du désir de plaire à son auditoire par le recyclage des conventions formelles de son époque afin de créer son propre style. Wilde explique plus longuement ce qu’il attend d’une œuvre littéraire lorsqu’il affirme dans son essai The English Renaissance of Art :

For it is not enough that a work of art should conform to the æsthetic demands of its age: there must be also about it, if it is to affect us with any permanent delight, the impress of a distinct individuality, an individuality remote from that of ordinary men, and coming near to us only by virtue of a certain newness and wonder in the work, and through channels whose very strangeness makes us more ready to give them welcome[25].

Afin de marquer l’esprit de son lecteur (et possiblement de marquer l’histoire de la littérature), un écrivain doit créer à partir d’une recherche esthétique subjective, ou voir l’art comme une occasion d’exploration de l’intériorité de l’individu. Ainsi un même lecteur peut-il apprécier des œuvres très différentes les unes des autres du moment que les différents auteurs de celles-ci utilisent la littérature comme moyen de découvrir leur individualité. C’est d’ailleurs ce critère de l’originalité qui peut expliquer les goûts littéraires variés de Wilde — qui admire à la fois Shakespeare, Balzac, Flaubert, Dostoïevski ainsi que de nombreux poètes et romanciers qui lui sont contemporains. Un roman ou un poème est donc par essence une œuvre unique puisqu’elle se veut une exploration du tempérament d’un artiste plutôt que le reflet d’une époque[26]. Cette création peut reprendre certains mythes ou archétypes littéraires — pensons aux parallèles possibles entre la relation du jeune Dorian et du peintre Basil et celle d’Alcibiade et de Socrate, ou encore la reprise du motif religieux de la tentation de Saint-Antoine par Flaubert — mais doit absolument les présenter dans une forme nouvelle.

Un artiste ne peut exprimer son tempérament qu’à l’aide un style qui lui est propre, et par conséquent qui se distingue de celui de ses prédécesseurs. Aussi existe-t-il une tension entre le caractère novateur de la démarche artistique d’un artiste et les attentes de son auditoire, qui souhaite retrouver dans l’art les codes littéraires qu’il connaît. Cependant, l’exaltation de l’intériorité de l’artiste à travers une œuvre littéraire peut aussi s’avérer l’élément déclencheur d’une expérience subjective de la beauté chez le lecteur. Wilde le formule ainsi dans sa correspondance : «It is the spectator, and not life, that art really mirrors[27]. » Création originale de l’écrivain, un roman ou un poème devient le miroir de l’individualité du lecteur en permettant une expérience subjective et en partie incommunicable[28]. C’est ce que Wilde propose lorsqu’il justifie sa décision de se détourner d’une définition de la beauté universelle dans son essai The English Renaissance of Art :

I will not try to give you any abstract definition of beauty [...] still less to communicate to you that which in its essence is incommunicable, the virtue by which a particular picture or poem affects us with a unique and special joy[29].

L’unique roman de Wilde exemplifie cette double expérience subjective de manière plus concrète puisque le peintre Basil et le jeune Dorian voient tous deux le portrait que Basil a fait de Dorian comme le reflet de leur âme. Wilde fait du rapport de Basil et de Dorian au portrait le nœud de son intrigue : le tableau symbolise la fascination de Basil pour le jeune Dorian, et incarne ce que Basil nomme l’occasion de se révéler lui-même. La réussite de ce projet artististe solde ironiquement l’échec de la carrière artistique du peintre, qui choisit de ne pas exposer son seul chef d’œuvre, terrifié à l’idée de dévoiler des secrets qu’il se cache même à lui-même. De surcroît, son portrait dévoile à Dorian le pouvoir de sa beauté et de sa jeunesse, mettant la table à sa corruption morale par Lord Henry. Prisonnier d’un sortilège, le portrait se métamorphose sous l’influence des années qui s’écoulent et des crimes que commet Dorian tandis que celui-ci conserve les traits de sa bonté et de sa jeunesse. En tant que rappel des sombres secrets du personnage, le portrait en vient à incarner une image plus fidèle du tempérament de Dorian que Dorian lui-même. C’est sans doute ce qui explique que Dorian se suicide au moment où il allait détruire le tableau avec un couteau : seule sa mort physique peut tuer la part de son âme que renferme le portrait. Cette vision de la littérature comme moyen de découverte de l’intériorité nous ramène au caractère immoral que Wilde attribue à l’art : la recherche subjective de l’artiste ne se réconcilie pas plus à des considérations morales que sa quête esthétique ou son désir de dépeindre une pluralité d’expériences humaines.

La vision de la littérature de Wilde comme « Philosophie de l’Irréalité[30] »

Toutefois, cette exaltation de l’intériorité ne nécessite pas qu’une œuvre littéraire prenne la forme d’un récit autobiographique. Au contraire, un auteur peut acquérir une meilleure connaissance de lui-même en créant des personnages vivant des déchirements intérieurs qui lui sont étrangers. Ainsi Wilde voit-il comme une erreur de croire qu’il faut être mélancolique pour mettre en scène les tourments de Hamlet, ou encore fou pour représenter le Roi Lear dans une tempête[31]. La compréhension de tels personnages ne nécessite pas l’enquête sociologique ou psychologique menée par plusieurs romanciers influencés par le mouvement littéraire du réalisme. Dans cette ligne d’idées, les essais de Wilde comportent à la fois une violente critique du réalisme en tant que mouvement littéraire et une admiration pour les écrivains (et surtout les romanciers) qui réussissent à dépeindre une multitude de différentes réalités. Commençons par noter que Wilde s’oppose vivement à la méthode de ses contemporains qui souhaitent faire d’une œuvre d’art le reflet de la réalité. Il dénonce donc la démarche prônée par le réalisme et le naturalisme, soit une enquête menant à la « dissection » de certaines réalités sociales. C’est du moins l’interprétation péjorative que Wilde effectue de ce courant littéraire :

The ancient historians gave us delightful fiction in the form of facts; the modern novelist presents us with dull facts under the form of fiction. [...] He [the artist] has his tedious document humain, his miserable coin de la création into which he peers with his microscope[32].

L’essai qui développe ces réflexions (The Decay of Lying) prend justement la forme d’un dialogue où le personnage de Vivian se désole du bannissement du mensonge dans le contexte de certains événements mondains, mais surtout dans le domaine des arts. En tant que lieu de la fiction, le roman est le lieu du mensonge, ou ce que Wilde nomme « the telling of beautiful untrue things » c’est-à-dire « le récit de belles choses fausses[33] ».

Si l’art romanesque a pour matière première la réalité, il n’en demeure pas moins qu’il redore cette réalité afin d’en faire une œuvre d’art. C’est pourquoi Wilde a recours à la métaphore du cristal plutôt que du miroir pour réfléchir aux effets de la littérature dans sa correspondance : «A mirror will give one one’s own sorrow. But Art is not a mirror, but a crystal. It creates its own shapes and forms[34]. » Autrement dit, la vision de la réalité proposée par la littérature se réfracte à travers le prisme de la subjectivité de l’écrivain. Dans son essai The Decay of Lying, Wilde utilise également l’image du voile pour imager l’altération de la réalité qui se fait à travers le prisme de l’art :

She [Art] is not to be judged by any external standard of resemblance. She is a veil, rather than a mirror. She has flowers that no forests know of, birds that no woodland possesses. She makes and unmakes many worlds, and can draw the moon from heaven with a scarlet thread[35].

Aux yeux de Wilde, la démarche réaliste fait fausse route lorsqu’elle nie l’existence de la tension entre idéalisation du réel et représentation de la réalité au cœur de tout travail littéraire. C’est par l’entremise du rêve que cet art mène le lecteur à réfléchir au monde réel, certes, mais aussi à s’échapper un instant d’un monde qui, aux yeux de Wilde, est parfois insupportable. Mentionnons au passage que les romanciers les plus accomplis (et plus particulièrement Balzac, un exemple auquel nous reviendrons sous peu) réussissent à rendre leur univers narratif crédible — c’est-à-dire à convaincre leur lecteur (le temps de sa lecture) que ce monde est plus réel que sa propre réalité. Wilde note à ce sujet que c’est le pouvoir suprême de la fiction :

This is the supreme advantage that fiction possesses over facts. It can make things artisticaly probable, can call for imaginative and realistic credence, can, by force of mere style, compel us to believe. The ordinary novelists, by keeping close to the ordinary incidents of commonplace life seem to me to abdicate half of their power. Romance, at any rate, welcomes what is wonderful; the temper of wonder is part of her own secret; she loves what is strange and curious[36].

Ainsi cet ensorcèlement artistique permet-il au romancier de déroger davantage d’une représentation fidèle de la réalité que ce que rend possible le réalisme. Wilde ne voit pas de problème à ce qu’un chef d’œuvre romanesque tomber dans ce qui est de l’ordre du merveilleux, de l’étrangeté ou de l’étonnement. Pour ce faire, le romancier peut notamment situer son intrigue dans une autre époque (comme l’Antiquité) ou dans une autre culture (par exemple celle de l’Orient). Il peut aussi laisser planer une aura de mystère sur certains aspects de son intrigue — rappelons que le lecteur n’apprend jamais quel est le mystérieux livre que Lord Henry prête à Dorian et qui empoisonne son âme — ou faire tomber son récit dans le fantastique (pensons seulement à la métamorphose du portrait de Dorian à travers le temps). Plutôt que de chercher à se faire le reflet de la réalité, l’œuvre littéraire doit, à l’image de la pièce musicale, conserver une aura de mystère. Comme il affirme lui-même, Wilde prend position pour une vision de la littérature (et surtout du roman) plus près des idées du romantisme que de celle du réalisme.

L’exemple de la Comédie Humaine et des Rougon-Macquart :

Wilde illustre ce rapport qu’il dresse entre art et réalité grâce à son éloge de la Comédie humaine et de sa vive critique du naturalisme zolien. L’auteur du Portrait considère l’œuvre balzacienne comme plus grand monument littéraire du XIXe siècle. Balzac incarne le véritable génie de son siècle puisqu’il réussit à dépeindre un nombre impressionnant d’expériences humaines, ce qui fait de sa Comédie humaine le plus grand « magazine de documents sur l’être humain » après les pièces de Shakespeare. Wilde s’enthousiasme devant cette panoplie de possibles éparpillée à travers l’œuvre de Balzac : « And what a world it is! What a panorama of passions! What a pell-mell of men and women![37]» Il compare même le projet de la Comédie humaine à celui mené par Buffon en sciences naturelles, sous-entendant ainsi qu’il admire le désir d’exhaustivité ou la visée encyclopédique au centre de la démarche de Balzac. Aux yeux de Wilde, la démarche balzacienne ne se réduit pas à répertorier des faits, car elle passe par un travail d’observation qui permet au romancier de transformer les « faits » en « vérités » puis en la « Vérité ». Balzac réussit à concilier une méthode scientifique à un travail artistique : il atteint une connaissance approfondie de l’être humain en interprétant des faits propres à la réalité de sa société à l’aune de sa subjectivité artistique. Wilde ne voit donc pas l’art romanesque de Balzac comme une tentative de reproduire la réalité, mais plutôt comme la création d’un monde narratif à partir d’une fine observation du réel.

Comme mentionné plus tôt, il faut néanmoins que cet univers imaginaire rappelle suffisamment la réalité pour qu’un romancier puisse convaincre le lecteur que les personnages qu’il lui présente existent. C’est un effet que Balzac réussit particulièrement bien à reproduire selon Wilde, qui considère que la lecture de la Comédie humaine permet au lecteur de croire que les personnages balzaciens sont plus réels que les personnes qu’il côtoie au quotidien. Le monde que nous propose Balzac n’en demeure pas moins une illusion, c’est-à-dire un univers où sont embellis certains aspects de la réalité. C’est ce qui donne à ses romans une vitalité ou un intérêt qui dépasse celui du monde réel, comme en témoigne cette description de Wilde :

They [Balzac’s characters] have a fierce vitality about them : their existence is fervent and fiery— coloured ; we not merely feel for them but we see them—they dominate our fancy and defy scepticism. A steady course of Balzac reduces our living friends to shadows, and our acquaintances to the shadows of shades. Who would care to go out to an evening party to meet Tomkins, the friend of one’s boyhood, when one can sit at home with Lucien Rubempré?[38]

Balzac réussit à concilier illusion littéraire et observation de la réalité de manière à créer ce que Wilde nomme « imaginative reality », ce qui signifie qu’il ne considère pas les œuvres de Balzac comme faisant partie du mouvement réaliste. Notons que si Wilde érige la pratique balzacienne de l’art romanesque en modèle, il constate un rapport similaire à la réalité chez d’autres romanciers, et plus particulièrement chez les trois romanciers russes Tolstoï, Dostoïevski et Tourgueniev ainsi que chez Meredith, un romancier anglais.

Wilde porte toutefois un jugement plus sévère sur ce qu’il nomme « the unimaginative reality » qu’incarne le naturalisme de Zola. Wilde accuse Zola de ne pas interpréter les différentes réalités socioéconomiques qu’il présente à travers le prisme de l’imagination. Aux yeux de Wilde, la « formule scientifique » préconisée par Zola le mène à suivre la tendance « monstrueuse » qu’est celle de porter un « culte » des « faits » et qui prend de l’ampleur au XIXe siècle. Wilde considère donc que, contrairement aux personnages de Balzac, ceux de Zola sont d’un ennui mortel puisque leur trajectoire narrative copie le déroulement de la réalité des Français ayant vécu à l’époque du Second Empire. C’est du moins ce que Wilde affirme dans son essai The Decay of Lying :

The author [Zola] is perfectly truthful, and describes things exactly as they happen. [...] from the standpoint of art, what can be said in favour of the author of L’Assommoir, Nana, and Pot-Bouille? Nothing. Mr. Ruskin once described the characters in George Eliot’s novels as being like the sweepings of a Pentonville omnibus, but M. Zola’s characters are much worse. They have their dreary vices, and their drearier virtues. The record of their lives is absolutely without interest. Who cares what happens to them?[39]

Même en prenant en considération les théories esthétiques de Wilde, il paraît discutable de considérer que le dénouement heureux de l’histoire d’amour entre Mouret et Denise à la suite de l’apothéose de la vente de blanc dans Au bonheur des dames, ou encore les jeux de séduction menés par Nana (qui la mènent à une fin tragique) sont trop ennuyeux pour susciter un plaisir littéraire à la hauteur de ce que proposent des romanciers comme Balzac ou Tolstoï. Il n’en demeure pas moins que Zola commet une faute impardonnable aux yeux de Wilde, une faute qu’il partage avec de nombreux romanciers du XIXe siècle — celle de prétendre « disséquer » l’âme humaine à l’aide des résultats de son enquête sociologique.

Conclusion : le roman anglais, un genre contraignant au XIXe siècle.

La conception de l’art de Wilde nous permet de mieux comprendre sa critique de l’art romanesque tel qu’il est pratiqué à son époque : plutôt que le lieu d’innovations stylistiques, le roman s’avère celui d’une démonstration du puritanisme de l’ère victorienne et d’une enquête cherchant à comprendre différentes réalités socioéconomiques. L’auteur du Portrait critique ce qu’il nomme une vision du roman comme d’un « mode de propagande[40] » en opposant l’interprétation unique du roman à thèse à la pluralité d’interprétations que devrait permettre une œuvre d’art. Les réticences que Wilde cultive à l’égard du genre romanesque sont aussi alimentées par la conception du roman comme d’un miroir de la réalité qui marque autant la littérature anglaise que la littérature française de la deuxième moitié du XIXe siècle. Wilde qui, nous l’avons vu, revendique les idées esthétiques au fondement de la théorie de « l’art pour l’art », se méfie également du roman en tant que producteur de « best-sellers » littéraires. En effet, l’auteur du Portrait est d’avis que certaines considérations mercantiles influencent trop le développement du roman moderne pour que celui-ci devienne le meilleur genre littéraire pour mener une recherche esthétique féconde. Il constate à ce sujet :

Novels are now written so rapidly that novelists have no time to secret thought or fancy ; and without wealth or thought and fancy there cannot be apt felicity of language. Where there is little to express, expression must be poor. The public reads so fast that it has no time for subtleties of art, no patience to seek out retiring beauties, nothing of that still and serious temper which feels such beauties when found. Which such a public, such authors are fairly matched ; for each makes the other[41].

Autrement dit, le développement de l’art romanesque est en quelque sorte asservi aux intérêts économiques prenant de l’ampleur à l’époque de la Révolution industrielle : un nombre grandissant de romans sont écrits trop vite dans le but de plaire au plus grand nombre de lecteurs possibles. Wilde est aussi exaspéré par la longueur de ces romans écrits pour garder les lecteurs en haleine. Il se moque à plusieurs reprises de la mode du « roman anglais en trois volumes » dont l’intrigue se perd dans la multiplication des péripéties et des personnages. Wilde étant un lecteur avide de romans, ces critiques du roman victorien portent à croire qu’il rejette l’art romanesque tel que pratiqué à son époque plutôt que l’écriture du roman comme tel.

Il est néanmoins possible de se demander si certaines des réserves de Wilde, qui a écrit une quantité impressionnante d’essais, de nombreux poèmes et plusieurs pièces de théâtre mais un seul roman, ne touchent pas à certaines caractéristiques plus intrinsèques du roman. Il est vrai que le roman, en tant que « machine à créer du suspense », a la faculté de créer un engouement plus grand que la poésie ou le théâtre : cela signifie, dans la logique de Wilde, que le romancier a davantage de chances de prioriser certaines considérations commerciales au détriment de l’exploration de sa subjectivité que le poète ou le dramaturge. De plus, la démarche artistique de Wilde se prête mal à la multiplication des intrigues que propose le roman — à laquelle il préfère la beauté et l’harmonie de l’unité d’action qu’il retrouve dans le théâtre. Cet épurement narratif permet par ailleurs à l’écrivain de mettre la pratique du dialogue et du paradoxe chez les personnages à l’avant-plan de sa création littéraire, ce qui favorise les échanges d’idées contradictoires (et de la recherche de la Vérité à travers ces échanges) au cœur de la démarche artistique de Wilde. Celui-ci affirme lui-même construire le schéma narratif du Portrait autour des conversations entre les personnages qu’autour d’aventures romanesques : « I have just finished my first long story … I am afraid it is rather like my own lifeall conversation and no action. I can’t describe action: my people sit in chairs and chatter[42]. » De plus,le peu de contraintes narratives dans le domaine de la poésie fait de celle-ci le terreau d’une recherche stylistique plus fertile aux yeux de l’auteur du Portrait que le genre romanesque. Ainsi la grandeur artistique que Wilde voit dans l’œuvre de Flaubert est-elle d’autant plus grande du fait qu’il réussit à créer un style littéraire à partir d’une matière artistique imparfaite. Malgré l’attention que l’on accorde à son unique roman, le « tempérament artistique » de Wilde se déploie peut-être mieux dans la confrontation de discours que favorise le dialogue (ou l’essai critique) et dans la recherche esthétique au centre de la tradition poétique que dans le roman, un genre qu’il associe de toute manière trop viscéralement à son dégoût de la société victorienne.

 

[1] Voir « The Victorian Era », dans The Broadview Anthology of British Literature. The Victorian Era, (ed. Joseph Black et al.), volume V, Peterborough, Broadview Press, deuxième édition, 2012, p. xxxix-lxxxiv.

[2] Oscar Wilde, « The Critic As Artist », dans Complete Works of Oscar Wilde (éd. Merlin Holland), Glasgow, HarperCollins, coll. « Collins Classics », 1994 [1881-1898], p. 1145. « La condition première de la critique est que le critique soit capable de reconnaître que la sphère de l’Art et celle de l’Éthique sont absolument distinctes et séparées. [...] On les confond trop souvent aujourd’hui en Angleterre et, bien que nos modernes puritains ne puissent détruire une belle chose, ils parviennent cependant presque, avec leur extraordinaire lubricité, à souiller momentanément la beauté. » Pour cette traduction en français, voir « La Critique comme artiste », Œuvres (éd. Jean Gattégno), Paris, Gallimard, coll. « Pléiade », 1996 [1881-1898], p. 886.

[3] « The Picture of Dorian Gray », Ibid., p.17. « Il n’existe pas de livre moral ou de livre immoral. Un livre est bien écrit ou mal écrit, un point, c’est tout. » Pour cette traduction en français, voir «Le portrait de Dorian Gray », Ibid., p. 347.

[4] « Tout art est parfaitement inutile. » Idem.

[5] « Lettre à R. Clegg, avril 1891 », op. cit., p. 478. « L’art est inutile parce que son but est simplement de créer un état d’esprit. Il ne vise d’aucune manière à instruire ni à influencer. [...] L’œuvre d’art est inutile comme la fleur est inutile. La fleur s’épanouit pour sa propre joie. Nous gagnons un moment de joie en la regardant : voilà tout ce que l’on peut dire de nos rapports avec les fleurs. Certes l’homme peut vendre la fleur et ainsi en tirer une utilité, mais cela n’a rien de commun avec la fleur elle-même. Ce n’est pas une partie de son essence : c’est accidentel. » Pour cette traduction en français, voir « Lettre à R. Clegg, avril 1891 », Lettres d’Oscar Wilde (trad. Henriette de Boissard), Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1994 [1875-1900], p. 162.

[6] « Lettre à l’éditeur du Scots Observer, 9 July 1890 », Ibid., p. 439. « Le vice et la vertu sont simplement pour lui [l’artiste] ce que sont, pour le peintre, les couleurs qu’il voit sur sa palette : rien de plus et rien de moins. » Pour cette traduction en français, voir « Lettre à l’éditeur du Scots Observer, 9 juillet 1890 », Ibid., p. 142.

[7] « Literary and Other Notes », dans The Complete Works of Oscar Wilde. Journalism Part II (éd. John Stokes et Mark W. Turner), Volume VII, Oxford, Oxford University Press, 2013 [1887–1895], p. 31. Une traduction en français de cet article n’est pas disponible.

[8] « The Critic As Artist », op. cit., p. 1129. « Tu vois donc par là comment il se fait que le critique esthète, rejetant ces modes artistiques fondés sur l’évidence qui n’ont qu’un unique message à transmettre et, après l’avoir transmis, deviennent muets et stériles, préfère rechercher les modes fondés sur la suggestion : ils portent à la rêverie et à la méditation, et leur beauté imaginative fait que toutes les interprétations sont vraies, qu’aucune n’est définitive. » Pour cette traduction en français, voir « Le Critique comme artiste », op. cit., p. 861.

[9] « The Picture of Dorian Gray », op. cit., p. 20. « Vous ne dites jamais rien de moral, et vous ne faites jamais rien d’immoral. Votre cynisme n’est qu’une pose. » Pour cette traduction en français, voir « Le Portrait de Dorian Gray », Ibid., p. 352.

[10] « The House Beautiful », dans Complete Works of Oscar Wilde, op. cit., p. 925. Une traduction française de cet article n’est pas disponible.

[11] « Lettre à l’éditeur du St James’s Gazette, 27 juin 1890 », op. cit., p. 430. Une traduction française de cette lettre n’est pas disponible.

[12] « The House Beautiful », op. cit., p. 916. Une traduction en français de cet essai n’est pas disponible.

[13] « A Few Maxims For the Intruction of the Over-Educated », Ibid., p. 1242. « L’Art est la seule chose sérieuse qui existe au monde. Et l’artiste la seule personne qui n’est jamais sérieuse. » Pour cette traduction en français, voir « Quelques Maximes pour l’instruction des personnes trop instruites », Œuvres, op. cit., p. 968.

[14] « Lettre à Arthur Conan Doyle, avril 1891 », op. cit., p. 478. « Je ne parviens pas à comprendre comment ils peuvent traiter Dorian Gray d’immoral. Ma difficulté fut de garder subordonnée à l’effet artistique et dramatique la morale inhérente à l’histoire et il me semble encore que cette morale est trop évidente. » Pour cette traduction en français, voir « Lettre à Arthur Conan Doyle, avril 1891 », op. cit., p. 161.

[15] Florina Tufescu, « Mixing Memory and Desire: The Scandal of Oscar Wilde’s Neo-classical Poetry », dans Oscar Wilde, Jarlath Killeen (dir.), Dublin, Irish Academy Press, 2011, p. 47.

[16] « The English Renaissance of Art », dans Aristotle at Afternoon Tea. The rare Oscar Wilde (éd. John Wyse Jackson), Londres, Fourth Estate, 1991 [1882–1890], p. 10. Une traduction en français de cet article n’est pas disponible.

[17] Voir The Broadview Anthology of British Literature. op. cit., p. 38.

[18] « Lettre à Mallarmé, 25 février 1891 », op. cit., p. 471.

[19] « A Russian Realistic Romance », dans The Complete Works of Oscar Wilde. Journalism Part I (éd. John Stokes et Mark W. Turner), Volume VI, Oxford, Oxford University Press, 2013 [1877–1887], p. 31. Une traduction en français de cet article n’est pas disponible.

[20] « The Picture of Dorian Gray », op. cit., p.18. « La riche senteur des roses emplissait l’atelier, et lorsque la brise d’été agitait les arbres du jardin, les lourds effluves du lilas, ou la flagrance plus subtile de l’épine rose, pénétraient par la porte ouverte. » Pour cette traduction en français, voir « Le Portrait de Dorian Gray », op. cit., p. 349.

[21] « Lettre à Justin Huntly McCarthy, milieu du mois de mai 1889 », op. cit., p. 399. Une traduction en français de cette lettre n’est pas disponible.

[22] « Lettre à W. E. Henley, décembre 1888 », op. cit., p. 372. « Oui, Flaubert est mon maître. Quand je me mettrai à traduire La Tentation, je serai Flaubert II, Roi par grâce de Dieu et, j’espère, beaucoup plus. » Pour cette traduction en français, voir « Lettre à W. E. Henley, décembre 1888 », op. cit, p. 135.

[23] « Lettre à E. W. Godwin, février ou mars 1885 », Ibid., p. 252.

[24] « The Soul of Man Under Socialism », dans Complete Works of Oscar Wilde, op. cit., p. 1174. « Un artiste souverain, comme Flaubert, a pu s’isoler, se mettre hors d’atteinte des vociférations exigeantes d’autrui [...] et par là réaliser la perfection de ce qui était en lui, tirant de là un profit personnel incomparable, et permettant à l’univers entier d’en tirer un profit incomparable. » Pour cette traduction en français, voir « L’Âme de l’homme sous le socialisme », Œuvres, op. cit., p. 929.

[25] « The English Renaissance of Art », op. cit., p. 9. Une traduction en français de cet article n’est pas disponible.

[26] Bien qu’il insiste à de nombreuses reprises sur cette idée dans ses essais, Wilde la nuance dans une certaine mesure lorsqu’il dit dans Mr. Whistler’s Ten O’Clock : « An artist is not an isolated fact; he is the resultant of a certain milieu and a certain entourage, and can no more be born of a nation that is devoid of any sense of beauty than a fig can grow from a thorn or a rose blossom from a thistle. » « Mr. Whistler's Ten O'Clock », publié dans le Pall Mall Gazette, 21 Février 1885, The Complete Works of Oscar Wilde, op. cit., p. 949. « Un artiste n’est point un fait isolé. Il est la résultante d’un certain milieu, et il est aussi impossible qu’il naisse dans une nations absolument dépourvue de tout sentiment de la beauté qu’il est impossible qu’une figue croisse sur une épine-blanche, ou qu’une rose s’épanouisse sur un chardon. » Pour cette traduction en français, voir Essais de littérature et d’esthétique (trad. Albert savine), Paris, Éditions du Sandre, 2005 [1855-1885], p.14.

[27] « Lettre à l’éditeur du Scots Observer, 23 juillet 1890 », op. cit., p. 441. « C’est le spectateur et non la vie que l’art en réalité reflète. » Pour cette traduction en français, voir « Lettre à l’éditeur du Scots Observer, 23 juillet 1890 », op. cit., p. 144.

[28] Cette expérience subjective de l’art n’est pas sans rappeler une des critiques du réalisme formulée par Proust dans le Temps retrouvé, où il est question d’une « essence » littéraire « en partie subjective et incommunicable » Voir Marcel Proust, Le temps retrouvé, dans À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1999 [1927], p. 2277.

[29] « The English Renaissance of Art », dans Aristotle at Afternoon Tea. The rare Oscar Wilde, op. cit., p. 3. Une traduction en français de cet article n’est pas disponible.

[30] Cette expression est utilisée par Wilde dans sa « Lettre à Edmond de Goncourt, 17 décembre 1891 », op. cit., p. 505.

[31] Idem.

[32] « The Decay of Lying », dans Complete Works of Oscar Wilde, op. cit., p. 1073. « Les historiens de l’Antiquité cherchaient à nous faire prendre de charmantes fables pour des faits. Le romancier contemporain nous présente des faits ennuyeux sous le couvert de la fable. [...] Il dispose de son fastidieux document humain, de son misérable petit coin de la création qu’il observe au microscope. » Pour cette traduction en français, voir « Le Déclin du mensonge », dans Œuvres, op. cit., p. 776.

[33] Pour la version en anglais, voir Ibid., p.1092 et pour la traduction en français voir Ibid., p. 805.

[34] « Lettre à More Adey, 16 décembre 1896 », op. cit., p. 672. Une traduction en français de cette lettre n’est pas disponible.

[35] « The Decay of Lying », op. cit., p. 1082. « C’est à l’intérieur et non en dehors de lui-même que l’Art atteint sa perfection. Il n’a pas à être jugé sur des critères de ressemblance au monde extérieur. L’art est voile plus que miroir. Il connaît des fleurs qui ne poussent dans aucune forêt, des oiseaux qui ne nichent dans aucune charmille. Il crée et détruit une multitude d’univers et, au moyen d’un fil écarlate, peut attraper la lune. » Pour cette traduction en français, voir « Le Déclin du mensonge », op. cit., p. 790.

[36] « Literary and Other Notes », dans The Complete Works of Oscar Wilde. Journalism Part II, op. cit., p. 162. Une traduction en français de cet article n’est pas disponible.

[37] « Balzac in English », Complete Works of Oscar Wilde, op. cit., p. 959. « Et quel monde c’est ! Quel panorama de passions ! Quel pêle-mêle d’hommes et de femmes ! » Pour cette traduction en français, voir « Balzac en anglais », dans Nouveaux essais de littérature et d’esthétique (trad. Albertine Savine), Paris, Éditions du Sandre, 2006 [1886-1887], p. 75.

[38] Ibid., p. 960. « Ils ont en eux une ardente vitalité; leur existence est bouillonnante, vivement colorée. Ils dominent notre imagination et défient notre scepticisme. Une lecture assidue de Balzac réduit nos amis vivants à l’état d’ombres, et nos simples connaissances ne sont plus que des ombres de fantôme. Qui se soucierait de se rendre à une soirée pour rencontrer Tomkins, notre ami d’enfance, quand on peut passer le temps chez soi en compagnie de Lucien de Rubempré ? » Idem.

[39] « The decay of Lying », op. cit., p. 1075. « L’auteur [Zola] est parfaitement sincère et décrit la réalité telle qu’elle est. [...] Mais, du point de vue de l’art, que dire pour défendre l’auteur de l’Assomoir, de Nana, de Pot-Bouille ? Rien. Décrivant les personnages des romans de George Eliot, Mr. Ruskin les a un jour comparés aux balayures d’un omnibus de Pentonville, mais les personnages de M. Zola sont bien pires. Leurs vices sont d’un ennui mortel, leurs vertus d’un ennui plus mortel encore. Le récit de leur existence ne présente pas l’ombre d’un intérêt. Qui se soucie de ce qui leur arrive ? » Pour cette traduction en français, voir « Le déclin du mensonge », op. cit., p. 779.

[40] C'est une expression que Wilde utilise dans « Some literary Notes », op. cit., p. 180.

[41] «"Hugh Conway’s" Last Novel », dans The Complete Works of Oscar Wilde. Journalism Part II, op. cit., p. 265. Une traduction en français de cet article n’est pas disponible.

[42] « Lettre à Beatrice Allhusen, début de l’année 1890 », op. cit., p. 427

Bibliographie

Ouvrages cités

Ouvrages en anglais :

The Complete Letters of Oscar Wilde (éd. Merlin Holland et Rupert Hart-Davis), New York, Henry Holt and Compagny, 2000.

Complete Works of Oscar Wilde (éd. Merlin Holland), Glasgow, HarperCollins, coll. « Collins Classics », 1994 [1881-1898].

The Complete Works of Oscar Wilde. Journalism Part I (éd. John Stokes et Mark W. Turner), Volume VI, Oxford, Oxford University Press, 2013 [1877-1887].

The Complete Works of Oscar Wilde. Journalism Part II (éd. John Stokes et Mark W. Turner), Volume VII, Oxford, Oxford University Press, 2013 [1887-1895].

Aristotle at Afternoon Tea. The rare Oscar Wilde (éd. John Wyse Jackson), Londres, Fourth Estate, 1991 [1882-1890].

Traductions françaises :

WILDE, Oscar, Lettres d'Oscar Wilde (trad. Henriette de Boissard), Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1994 [1875-1900].

Œuvres (éd. Jean Gattégno), Paris, Gallimard, coll. « Pléiade », 1996 [1881-1898].

Nouveaux essais de littérature et d'esthétique (trad. Albertine Savine), Paris, Éditions du Sandre, 2006 [1886-1887].

Essais de littérature et d'esthétique, (trad. Albertine Savine), Paris, Éditions du Sandre, 2006 [1855-1885].

Autres ouvrages consultés :

BLACK, Joseph et al., “The Victorian Era”, dans The Broadview Anthology of British Literature. The Victorian Era, (ed. Joseph Black et al.), volume V, Peterborough, Broadview Press, deuxième édition, 2012.

PROUST, Marcel, Le temps retrouvé, dans À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1999 [1927].

TUFESCU, Florina, « Mixing Memory and Desire: The Scandal of Oscar Wilde's Neo-classical Poetry », dans Oscar Wilde, Jarlath Killeen (dir.), Dublin, Irish Academy Press, 2011, p. 47-70.

Citations

Aristotle at afternoon Tea. The Rare Oscar Wile (éd. John Wyse Jackson), Londres, Fourth Estate, 1991 [1882-1890].

The English Renaissance of Art.

"Among the many debts which we owe to the supreme æsthetic faculty of Goethe is that he was the first to teach us to define beauty in terms the most concrete possible, to realize it, I mean, always in its special manifestations. So, in the lecture which I have the honour to deliver before you, I will not try to give you any abstract definition of beauty—any such universal formula for it as was sought for by the philosophy of the eighteenth century—still less to communicate to you that which in its essence is incommunicable, the virtue by which a particular picture or poem affects us with a unique and special joy ; but rather to point out to you the general ideas which characterise the great English Renaissance of Art in this century, to discover their source, as far as that is possible, and to estimate their future as far as that is possible." (3)

"For it is not enough that a work of art should conform to the æsthetic demands of its age : there must be also about it, if it is to affect us with any permanent delight, the impress of a distinct individuality, an individuality remote from that of ordinary men, and coming near to us only by virtue of a certain newness and wonder in the work, and through channels whose very strangeness makes us more ready to give them welcome." (9)

"In Rossetti’s poetry and the poetry of Morris, Swinburne and Tennyson a perfect precision and choice of language, a style flawless and fearless, a seeking for all sweet and precious melodies and a sustaining consciousness of the musical value of each word are opposed to that value which is merely intellectual." (10)

"But the drama is the meeting-place of art and life; it deals, as Mazzini said, not merely with man, but with social man, with man in his relation to God and to Humanity. It is the product of a period of great national united energy; it is impossible without a noble public, and belongs to such ages as the age of Elizabeth in London and of Pericles at Athens ; it is part of such lofty moral and spiritual ardour as came to Greek after the defeat of the Persian fleet, and to Englishman after the wreck of the Armada of Spain." (19)

The Complete W(orks of Oscar Wilde. Journalism, Part 1 (éd. John Stokes et Mark W. Turner), vol. VII, Oxford, Oxford University Press, 2013 [1887-1895].

"Pleasing and Prattling", publié dans le Pall Mall Gazette, 4 août 1886.

“On the whole, there is a great deal to be said for our ordinary English novelists. They have all some story to tell, and most of them tell it in an interesting manner. Where they fail is in concentration of style. Their characters are far too eloquent, and talk themselves to tatters. What we want is a little more reality and a little less rhetoric. We are most grateful to them that they have not as yet accepted any frigid formula, nor stereotyped themselves into a school, but we wish that they would talk less and think more. They lead us through a barren desert of verbiage to a mirage that they call life: we wander aimlessly through a very wilderness of words in search of a touch of nature. However, one should not be too severe on English novels; they are the only relaxation of the intellectually unemployed.” (87–88)

"A Batch of Novels", publié dans le Pall Mall Gazette, 2 mai 1887.

“And by what a subtle objective method does Doistoieffski show us his characters! He never tickets them with a list, nor labels them with a description. We grow to know them very gradually, as we know people whom we meet in society, at first by little tricks of manner, personal appearance, fancies in dress and the like; and afterwards by their deeds and words; and even then they constantly elude us, for though Doistoieffski may lay bare for us the secrets of their nature, yet he never explains his personages away, they are always surprising us by something that they say or do, and keep to the end the eternal mystery of life.” (166)

The Complete W(orks of Oscar Wilde. Journalism, Part 2 (éd. John Stokes et Mark W. Turner), vol. VII, Oxford, Oxford University Press, 2013 [1887-1895].

"Some Literary Notes", publié dans le Woman’s World, février 1889.

“This is the supreme advantage that fiction possesses over facts. It can make things artistically probable, can call for imaginative and realistic credence, can, by force of mere style, compel us to believe. The ordinary novelists, by keeping close to the ordinary incidents of commonplace life, seem to me to abdicate half of their power. Romance, at any rate, welcomes what is wonderful; the temper of wonder is part of her own secret; she loves what is strange and curious.” (162)

“Observation is perhaps the most valuable faculty for a writer of fiction. When novelists reflect and moralise, they are, as a rule, dull. But to observe life with keen vision and quick intellect, to catch its many modes of expression, to seize upon its subtlety, or satire, or dramatic quality of its situations, and to render life for us with some spirit of distinction and fine selection—this, I fancy, should be the aim of the modern realist novelist.” (166)

"Some Literary Notes", publié dans le Woman’s World, mars 1889.

“The aim of most of our modern novelists seems to be, not to write good novels, but to write novels that will do good [...] They wish to reform the morals, rather than to portray the manners of their age. They have made the novel a mode of propaganda.” (180)

"Hugh Conway’s” Last Novel", publié dans le Pall Mall Gazette, 8 août 1885.

“Aristotle said long ago that in a drama the plot is the most important element, and the vulgar confirm his opinion by the eagerness with which they devour every novel, however meagre in fancy or in diction, which has a plot, an action, a beginning, a middle, and an end. A book is one book in virtue of dealing with one subject, with a principal action, and with only such other actions as are directly subordinated to this. Without a plot the assemblage of printed words filling three volumes a group of tales, an aggregate of essays, or nothing at all, but cannot possibly make a novel. Unity is the essence of a work of art; unity of action is the soul of imaginative writing. Many novels written by men of genius, some novels stamped with genius on every page, almost wholly lack this invaluable unity of action.” (264)

“The novelist who can give us good dialogue and plenty of it is one who has forgotten that his personages are but puppets and phantoms, one to whom they have become more real than the men or women around him, one who lives not only by but in his books, and makes us feel in every instant the warm, soft pressure of Life. Such a novelist stands only one degree below the great dramatist, and many degrees above the multitude of poets. For his novels are entitled to the praise which the ancient critic bestowed upon true poetry—that it is more serious and philosophic than history.” (265)

“Novels are now written so rapidly that novelists have no time to secret thought or fancy; and without wealth or thought and fancy there cannot be apt felicity of language. Where there is little to express, expression must be poor. The public reads so fast that it has no time for subtleties of art, no patience to seek out retiring beauties, nothing of that still and serious temper which feels such beauties when found. Which such a public, such authors are fairly matched; for each makes the other.” (265)

Complete Works of Oscar Wilde (éd. Merlin Holland), Glasgow, HarperCollins, coll. "Collins Classics", 1994 [1881-1898].

"The House Beautiful", conférence à Chicago, 1882.

“Even in imaginative art predominance must now be given to colour: a picture is primarily a flat surface coloured to produce a delightful effect upon the beholder, and if it fails of that, it is surely a bad picture. The aim of all art is simply to make life more joyous.” (916)

“In conclusion, what is the relation of art to morals? It is sometimes said that our art is opposed to good morals; but on the contrary, it fosters morality. Wars and the clash of arms and the meeting of men in battle must be always, but I think that art, by creating a common intellectual atmosphere between all countries might, if it could not overshadow the world with the silvery wings of peace, at least make men such brothers that they would not go out to slay on another for the whim or folly of some king or minister as they do in Europe; for national hatreds are always strongest where culture is lowest. And hence the enormous importance given to all the decorative arts in our English renaissance; we want children to grow up in England in the simple atmosphere of all fair things; the refining influence of art, begun in childhood, will be of the highest value to all of us in teaching our children to love what is beautiful and good, and hate what is evil and ugly. Then when a child grows up he learns that industrious we must be, but industry without art is simply barbarism.” (925)

"Mr Whistler’s Ten o’Clock", publié dans le Pall Mall Gazette, 21 Février 1885.

“An artist is not an isolated fact; he is the resultant of a certain milieu and a certain entourage, and can no more be born of a nation that is devoid of any sense of beauty than a fig can grow from a thorn or a rose blossom from a thistle.” (949)

“But the poet is the supreme artist, for he is the master of colour and of form, and the real musician besides, and is lord over all life and all arts ; and so to the poet beyond all others are these mysteries known ; to Edgar Allen Poe and to Baudelaire, not to Benjamin West and Paul Delaroche.” (949)

"Olivia at the Lyceum", publié dans le Dramatic Review, 30 mai 1885.

“And to me there is something very pleasurable in seeing and studying the same subject under different conditions of art. For life remains eternally unchanged ; it is art which, by presenting it to us under various forms, enables us to realise its many-sided mysteries, and to catch the quality of its most fiery-coloured moments. The originality, I mean, which we ask from the artist, is originality of treatment, not of subject. It is only the unimaginative who ever invents. The true artist is known by the use he makes of what he annexes, and he annexes everything.” (955)

"Balzac in English", publié dans le Pall Mall Gazette, 13 septembre 1886.

“It is really the greatest monument that literature has produced in our century, and M. Taine hardly exaggerates when he says that, after Shakespeare, Balzac is our most important magazine of documents on human nature. Balzac’s aim, in fact, was to do for humanity what Buffon had done for the animal creation. As the naturalist studied lions and tigers, so the novelist studied men and women. Yet he was no mere reporter. Observation gave him the facts of life, but genius converted facts into truths, and truths into truth. He was, in a word, a marvellous combination of the artist temperament with the scientific spirit.

The distinction between such a book as M. Zola’s L’Assommoir and such a book as Balzac’s Illusions Perdues is the distinction between unimaginative realism and imaginative reality. [...] He was, of course, accused of being immoral. Few writers who deal directly with life escape that charge. [...] The morals of the personages of the Comédie Humaine are simply the morals of the world around us. They are part of the artist’s subject-matter; they are not part of his method. If there be any need of censure it is to life, not to literature, that it should be given. Balzac, besides, is essentially universal. He sees life from every point of view. He has no preferences and no prejudices. He does not try to prove anything. He feels that the spectacle of life contains its own secret. ‘Il crée un monde et se tait.’

And what a world it is! What a panorama of passions! What a pell-mell of men and women! It was said of Trollope that he increased the number of our acquaintances without adding to our visiting list ; but after the Comédie Humaine one begins to believe that the only real people are the people who never existed. Lucien de Rubempré, le Père Goriot, Ursule Mirouët, Marguerite Claës, the Baron Hulot, Madame Marneffe, le Cousin Pons, De Marsay—all bring with them a kind of contagious illusion of life. They have a fierce vitality about them : their existence is fervent and fiery-coloured ; we not merely feel for them but we see them—they dominate our fancy and defy scepticism. A steady course of Balzac reduces our living friends to shadows, and our acquaintances to the shadows of shades. Who would care to go out to an evening party to meet Tomkins, the friend of one’s boyhood, when one can sit at home with Lucien de Rubempré? It is pleasanter to have the entrée to Balzac’s society than to receive cards from all the duchesses in Mayfair.” (959)

"Preface" à The Picture of Dorian Gray, 1890.

“The artist is the creator of beautiful things.

To reveal art and conceal the artist is art’s aim.

The critic is he who can translate into another manner or a new material his impression of beautiful things.

The highest as the lowest form of criticism is a mode of autobiography.

Those who find ugly meanings in beautiful things are corrupt without being charming. This is a fault.

Those who find beautiful meanings in beautiful things are the cultivated. For these there is hope.

They are the elect to whom beautiful things mean only beauty.

There is no such thing as a moral or an immoral book.

Books are well written, or badly written. That is all.

The nineteenth century dislike of realism is the rage of Caliban seeing his own face in a glass.

The nineteenth century dislike of romanticism is the rage of Caliban not seeing his own face in a glass.

The moral life of man forms part of the subject-matter of the artist, but the morality of art consists in the perfect use of an imperfect medium. No artist desires to prove anything. Even things that are true can be proved.

No artist has ethical sympathies. An ethical sympathy in an artist is an unpardonable mannerism of style.

No artist is ever morbid. The artist can express everything.

Thought and language are to the artist instruments of an art.

Vice and virtue are to the artist materials for an art.

From the point of view of form, the type of all the arts is the art of the musician. From the point of view of feeling, the actor’s craft is the type.

All art is at once surface and symbol.

Those who go beneath the surface do so at their peril.

Those who read the symbol do so at their peril.

It is the spectator, and not life, that art really mirrors.

Diversity of opinion about a work of art shows that the work is new, complex, and vital.

When critics disagree, the artist is in accord with himself.

We can forgive a man for making a useful thing as long as he does not admire it. The only excuse for making a useless thing is that one admires it intensely.

All art is quite useless.” (17)

The Decay of Lying. An Observation. A Dialogue, publié en 1891.

“The ancient historians gave us delightful fiction in the form of facts; the modern novelist presents us with dull facts under the guise of fiction. [...] He has his tedious document humain, his miserable little coin de la création into which he peers with his microscope.” (1073)

“In France, though nothing so deliberately tedious as Robert Elsmere has been produced, things are not much better. M. Guy de Maupassant, with his keen mordant irony and his hard vivid style, strips life of the few poor rags that still cover her, and shows us foul sore and festering wound. He writes lurid little tragedies in which everybody is ridiculous; bitter comedies at which one cannot laugh for very tears. M. Zola, true to the lofty principle that he lays down in one of his pronunciamientos on literature, L’homme de génie n’a jamais d’esprit, is determined to show that, if he has not got genius, he can at least be dull. And how well he succeeds! He is not without power. Indeed at times, as in Germinal, there is something almost epic in his work. But his work is entirely wrong from beginning to end, and wrong not on the ground of morals, but on the ground of art. From any ethical standpoint it is just what it should be. The author is perfectly truthful, and describes things exactly as they happen. What more can any moralist desire? We have no sympathy at all with the moral indignation of our time against M. Zola. It is simply the indignation of Tartuffe on being exposed. But from the standpoint of art, what can be said in favour of the author of L’Assommoir, Nana, and Pot-Bouille? Nothing. Mr. Ruskin once described the characters in George Eliot’s novels as being like the sweepings of a Pentonville omnibus, but M. Zola’s characters are much worse. They have their dreary vices, and their drearier virtues. The record of their lives is absolutely without interest. Who cares what happens to them? In literature we require distinction, charm, beauty, and imaginative power.” (1075)

“Art finds her own perfection within, and not outside of, herself. She is not to be judged by any external standard of resemblance. She is a veil, rather than a mirror. She has flowers that no forests know of, birds that no woodland possesses. She makes and unmakes many worlds, and can draw the moon from heaven with a scarlet thread.” (1082)

“As a method Realism is a complete failure, and the two things that every artist should avoid are modernity of form and modernity of subject-matter. To us, who live in the nineteenth century, any century is a suitable subject for art except our own. The only beautiful things are the things that do not concern us. It is, to have the pleasure of quoting myself, exactly because Hecuba is nothing to us that her sorrows are so suitable a motive for a tragedy. Besides, it is only the modern that ever becomes old-fashioned. M. Zola sits down to give us a picture of the Second Empire. Who cares for the Second Empire now? It is out of date. Life goes faster than Realism, but Romanticism is always in front of Life.” (1091)

"Critis As Artist. A Dialogue", publié en 1891.

“You see, then, how it is that the aesthetic critic rejects these obvious modes of art that have but one message to deliver, and having delivered it become dumb and sterile, and seeks rather for such modes as suggest reverie and mood, and by their imaginative beauty make all interpretation true, and no interpretation final.” (1129)

“The first condition of criticism is that the critic should be able to recognise that the sphere of Art and the sphere of Ethics are absolutely distinct and separate. [...] They are too often confused in England now, and though our modern Puritans cannot destroy a beautiful thing, yet, by means of their extraordinary prurience, they can almost taint beauty for a moment.” (1145)

The Soul of Man Under Socialism, publié en 1891.

“A supreme artist, like Flaubert, has been able to isolate himself, to keep himself out of the reach of the clamorous claims of others [...] to realise the perfection of what was in him, to his incomparable gain, and to the incomparable and lasting gain of the whole world.” (1174)

The Complete Letters of Oscar Wilde (éd. Merlin Holland et Rupert Hart-Davis), New York, Henry Holt and Company, 2000 [1875-1900].

Lettre à E. W. Godwin, février ou mars 1885] “I enclose a cheque and thank you very much for the beautiful designs of the furniture. Each chair is a sonnet in ivory, and the table is a masterpiece in pearl.” (252)

[Lettre à J. S. Little, 15 janvier 1888] “Your descriptions [celles de son roman Whose Wife Shall She Be?] are excellent, whether of scenery or of women, and I wish that I could write a novel, but I can’t!” (339)

[Lettre à W. E. Henley, décembre 1888] "Your distinction is admirable. Flaubert did not write French prose, but the prose of a great artist who happened to be French. As for your critics, when a book has so much life and so much beauty as yours has, it must inevitably appeal differently to different temperaments.

Beauty of form produces not one effect alone, but many effects. Surely you do not think that criticism is like the answer to a sum? The richer the work of art the more diverse are the true interpretations. There is not one answer only, but many answers. I pity that book on which critics are agreed. It must be a very obvious and shallow production. Congratulate yourself on the diversity of contemporary tongues. The worst of posterity is that it has but one voice.” (372–373)

[Lettre à W. E. Henley, décembre 1888] “Quite right, my dear 'Marsyas et Apollo' ; to learn how to write English prose I have studied the prose of France. [...] Yes! Flaubert is my master, and when I get on with my translation of the Tentation I shall be Flaubert II, Roi par grâce de Dieu, and I hope something else beyond.” (372)

[Lettre à Justin Huntly McCarthy, milieu du mois de mai 1889] “Your book is charming, and your prose worthy of the sinless master whom mortals call Flaubert.” (399)

[Lettre à Beatrice Allhusen, début de l’année 1890] “I have just finished my first long story [The Picture of Dorian Gray], and am tired out. I am afraid it is rather like my own life—all conversation and no action. I can’t describe action: my people sit in chairs and chatter.” (425)

[Lettre à l’éditeur du St James’s Gazette, 27 juin 1890] “Romantic art deals with the exception and with the individual. Good people, belonging as they do to the normal, and so, commonplace, type, are artistically uninteresting. Bad people, are, from the point of view of art, fascinating studies. They represent colour, variety and strangeness. Good people exasperate one’s reason; bad people stir one’s imagination.

The writer of the article then suggests that I, in common with that great and noble artist Count Tolstoi, take pleasure in a subject because it is dangerous. About such a suggestion there is this to be said. Romantic art deals with the exception and with the individual. Good people, belonging as they do to the normal, and so, commonplace, type, are artistically uninteresting. Bad people, are, from the point of view of art, fascinating studies. They represent colour, variety and strangeness. Good people exasperate one’s reason ; bad people stir one’s imagination. Your critic, if I must give him so honourable a title, states that the people in my story have no counterpart in life; that they are, to use his vigorous if somewhat vulgar phrase, ‘mere catchpenny revelations of the non-existent’. Quite so. If they existed they would not be worth writing about. The function of the artist is to invent, not to chronicle. There are no such people. If there were I would not write about them. Life by its realism is always spoiling the subject-matter of art. The supreme pleasure in literature is to realise the non-existent.

But, alas! They will find that it [The Picture of Dorian Gray] is a story with a moral. And the moral is this: All excess, as well as all renunciation, brings its own punishment. The painter, Basil Hallward, worshipping physical beauty far too much, as most painters do, dies by the hand of one in whose soul he has created a monstrous and absurd vanity. Dorian Gray, having led a life of mere sensation and pleasure, tries to kill conscience, and at that moment kills himself. Lord Henry Wotton seeks to be merely the spectator of life. He finds that those who reject the battle are more deeply wounded than those who take part in it. Yes ; there is a terrible moral in Dorian Gray—a moral which the prurient will not be able to find in it, but which will be revealed to all whose minds are healthy. Is this an artistic error? I fear it is. It is the only error in the book.” (430–431)

[Lettre à l’éditeur du Scots Observer, 9 juillet 1890] “Virtue and wickedness are to him [the artist] simply what the colours on his palette are to the painter. They are no more, and they are no less. (439)

[Lettre à l’éditeur du Scots Observer, 23 juillet 1890] “For if a work of art is rich, and vital, and complete, those who have artistic instincts will see its beauty, and those to whom ethics appeal more strongly than aesthetics will see its moral lesson. It will fill the cowardly with terror, and the unclean will see in it their own shame. It will be to each man what he is himself. It is the spectator, and not life, that art really mirrors.

And so, in the case of Dorian Gray, the purely literary critic, as in the Speaker and elsewhere, regards it as a 'serious and fascinating work of art' : the critic who deals with art in its relation to conduct, as the Christian Leader and the Christian World, regards it as an ethical parable. Light, which I am told is the organ of the English mystics, regards it as 'a work of high spiritual import'. [...] But I do not think that it is fair to expect a critic to be able to see a work of art from every point of view. Even Gautier had his limitations just as much as Diderot had, and in modern England Goethes are rare.” (441)

[Lettre à F. Holland Day où Wilde lui soumet un de ses sonnets, 11 août 1890] “'Midnight' is wrong : is it not? Christ was taken down at sunset I believe. But I don’t think I can change it : I like 'ran with torches through the midnight' : besides I don’t suppose they gambled when on guard. How sordid these realistic considerations are! It comes from having recklessly written a novel. I am ashamed of them.”

[Lettre à Mallarmé, 25 février 1891] “En Angleterre nous avons de la prose et de la poésie, mais la prose française et la poésie dans les mains d’un maître tel que vous deviennent une et la même chose.” (471)

[Lettre à Arthur Conan Doyle, avril 1891] “I cannot understand how they can treat Dorian Gray as immoral. My difficulty was to keep the inherent moral subordinate to the artistic and dramatic effect, and it still seems to me that the moral is too obvious.” (478)

[Lettre à R. Clegg, avril 1891] “My dear Sir, Art is useless because its aim is simply to create a mood. It is not meant to instruct, or to influence action in any way. It is superbly sterile, and the note of its pleasure is sterility. It the contemplation of a work of art is followed by activity of any kind, the work is either of a very second-rate order, or the spectator has failed to realise the complete artistic impression.

A work of art is useless as a flower is useless. A flower blossoms for its own joy. We gain a moment of joy by looking at it. That is all that is to be said about our relations to flowers. Of course man may sell the flower, and so make it useful to him, but this has nothing to do with the flower. It is not part of its essence. It is accidental. It is a misuse.” (478–479)

[Lettre à l’éditeur du Pall Mall Gazette, début du mois de décembre 1891] “No artist recognises any standard of beauty but that which is suggested by his own temperament. The artist seeks to realise in a certain materiel an immaterial idea of beauty, and thus to transform an idea into an ideal. That is the way an artist makes things. That is why an artist makes things. The artist has no other object in making things.” (503)

[Lettre à Edmond de Goncourt, 17 décembre 1891] « Quoique la base intellectuelle de mon esthétique soit la Philosophie de l’Irréalité, ou peut-être à cause de cela, je vous prie de me permettre une petite rectification à vos notes sur la conversation où je vous ai parlé de notre cher et noble poète anglais M. Algernon Swinburne et que vous avez insérés dans ces Mémoires qui ont, non seulement pour vos amis, mais pour le public tout entier, une valeur psychologique si haute.

Le public anglais, comme d’ordinaire hypocrite, prude et philistin, n’a pas su trouver l’art dans l’œuvre d’art [de Swinburne] : il y a cherché l’homme. Comme il confond toujours l’homme avec ses créations, il pense que pour créer Hamlet il faut être un peu mélancolique, pour imaginer Lear absolument fou. » (505)

[Lettre à Ralph Payne, 12 février 1894] “I am so glad you like that strange coloured book of mine : it contains much of me in it. Basil Hallward is what I think I am: Lord Henry what the world thinks me: Dorian what I would like to be—in other ages, perhaps.” (585)

[Lettre à Adela Schuster, novembre 1894] “I wish I could write them down, these little coloured parables or poems that live for a moment in some cell of my brain, and then leave it to go wandering elsewhere. I hate writing: the mere act of writing a thing down is troublesome to me. I want some fine medium, and look for it in vain.” (621)

[Lettre à More Adey, 16 décembre 1896] “Business matters, such as the present, of course upset me, and make me weak in mind and body, with the hysteria of shattered nerves, sleeplessness, and the anguish in which I walk ; but Art is different. There one makes one’s own world. It is with shadows that one weeps and laughs. A mirror will give back to one one’s own sorrow. But Art is not a mirror, but a crystal. It creates its own shapes and forms.” (672)

[Lettre à Max Beerbohm, 28 mai 1897] “The implied and accepted recognition of Dorian Gray in the story [The Happy Hipocrite de Max Beerbohm] cheers me. I had always been disappointed that my story had suggested no other work of art in others. For whenever a beautiful flower grows in a meadow or lawn, some other flower, so like it that it is differently beautiful, is sure to grow beside it, all flowers and all works of art having a curious sympathy for each other.” (856)

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